« Candyman + Cincinnati Flow Rag » du révérend Gary Davis

Né à Laurens en Caroline du Sud, Gary Davis (1896-1972) fut un de huit enfants mis au monde par sa mère mais le seul à survivre jusqu’à l’âge adulte. Il est devenu aveugle en enfance et fut maltraité par sa mère, à un tel point que son père l’a confié aux soins de sa grand-mère paternelle.

Davis a pris goût de la guitare à un jeune âge et il a développé un style unique, jouant non seulement du ragtime et du blues mais aussi des pièces populaires et des compositions originales. Vers le milieu des années 1920, il est déménagé à Durham, en Caroline du Nord, un centre majeur de la culture afro-américaine à l’époque où il a collaboré avec plusieurs autres artistes de la scène Piedmont, y compris Blind Boy Fuller et Bull City Red. Le style Piedmont de la guitare est nommé pour le plateau Piedmont, une région de la côte est des États-Unis, qui s’étend de la Virginie à la Géorgie.

C’est à cette époque que Davis s’est converti au christianisme et, plus tard, il a été ordonné ministre baptiste. Suite à sa conversion et surtout son ordination, Davis a démontré une préférence pour la musique gospel. Ses convictions religieuses l’ont non seulement aidé avec sa cécité mais a aussi cimenté ses racines gospel, une source d’inspiration pour toute sa carrière. Il s’est aussi brisé le poignet droit dans un accident à cette époque, ce qui a contribué à plusieurs de ses doigtés et ses positions peu orthodoxes sur la guitare.

Au début des années 1930, il s’est fait un nom comme artiste de rue et s’est bâti une solide réputation aux danses et soirées autour de la Caroline du Sud, avec ses marches de John Philip Sousa, ses pièces de piano de Scott Joplin jouées à la guitare, et ses pièces gospel et de blues. En 1935, un gérant de magasin connu pour venir en aide aux artistes locaux a fit connaître Davis et plusieurs autres artistes à la American Record Company. Les enregistrements subséquents ont marqué le début de la carrière de Davis.

En 1940, Davis est déménagé à New York où il a continué à travailler comme musicien de rue jusqu’à ses enregistrements suivants en 1956. Ces enregistrements lui ont valu beaucoup d’attention et il fut redécouvert par les revivalistes folk du début des années 1960. Ont suivi d’autres enregistrements, une grande popularité sur le circuit folk et des tournées à travers les É-U et l’Europe, propageant son message gospel et envoûtant son public avec sa voix puissante et intense et la virtuosité de sa guitare.

À New York, les guitaristes ont commencé à fréquenter l’appartement de Davis pour des leçons, y compris Dave Van Ronk, Stefan Grossman, Bob Weir (plus tard du Grateful Dead) et Jorma Kaukonen (plus tard du Jefferson Airplane). Comme plusieurs des bluesmen redécouverts à ce temps, le révérend a joué au Festival folk de Newport. Peter, Paul and Mary ont enregistré sa version de « Samson and Delilah », aussi connu comme « If I Had My Way », une pièce de Blind Willie Johnson que Davis avait popularisée. « Samson and Delilah » a été repris par le Grateful Dead, qui ont aussi fait un malheur avec un des grands chefs-d’oeuvre de Davis, « Death Don’t Have No Mercy. » Eric Von Schmidt a crédité Davis pour la majorité de sa pièce « Baby Let Me Follow You Down », repris par Bob Dylan sur son premier disque.

J’ai été très chanceux de grandir quand le renouveau folk a pris l’Amérique du Nord d’assaut. J’aimais tout à propos de cette musique. Quoique j’ai commencé à jouer de la guitare en 1963, j’ai dû attendre jusqu’en 1969 avant de pouvoir m’acheter ma première guitare acoustique. Pendant les six prochaines années, j’ai tenté d’apprendre l’instrument mais tout était difficile à l’époque. Même accorder la guitare représentait un problème – le seul outil d’accordement était le diapason et on en vendait certainement pas à Rockland! De toute façon, le diapason aidait à accorder une seule corde. Maintenant, les accordeurs numériques peuvent parfaitement accorder toutes les cordes de n’importe quel instrument.

Je me souviens des frustrations d’apprendre la guitare à partir des enregistrements – puisque ma guitare était accordée à l’oreille, j’avais de la misère à trouver le bon ton et les notes des grands joueurs de l’époque semblaient voler vers moi de tout sens. Et il y avait aussi des guitaristes nouvelle vague comme Bert Jansch, qui accordaient leurs guitares en accords exotiques avec des notes que je ne pouvais pas trouver sur ma guitare! J’ai été sauvé quand j’ai vu une pub à l’endos d’une bande dessinée me disant d’écrire à la Stefan Grossman Guitar Workshop à New York pour un catalogue gratuit de ses cahiers de leçons de guitare. J’ai commencé à collectionner les cahiers de Grossman, toujours écrits en tablature, une représentation en images des six cordes de la guitare avec des chiffres sur les lignes des cordes qui indiquaient à quelle frette jouer la corde. Pour un jeune comme moi, qui n’a jamais pu se permettre de payer pour de l’instruction conventionnelle en musique, la tablature était une bénédiction. Stefan Grossman et son Guitar Workshop a nourri les aspirations d’innombrables guitaristes qui voulaient apprendre le style « fingerpicking. » Le Workshop est toujours actif et offre maintenant des vidéos des grands maîtres du temps. Je suis toujours un client.

Le révérend Gary Davis a appris « Candyman » vers 1905 mais il chantait rarement les paroles, les trouvant profanes. Pour ma part, je refuse de m’abaisser en chantant le verset « Big Leg Ida. » Les notes basses en fingerpicking sont jouées par le pouce, invariablement de la tonique basse à la dominante ou l’octave de la tonique plus haut dans la gamme. Davis jouait « Candyman » de façon inverse, de la dominante haute à la tonique basse, probablement pour confondre ses étudiants! C’est un renversement subtil qui porte facilement à la maladresse et la majorité des guitaristes jouent la pièce de la façon plus convenable. Par respect (et par préférence), je joue « Candyman » à la façon prévue par le révérend.

Certaines personnes sont mal à l’aise avec la référence dans la chanson à un pusher de drogue (candyman) mais cette pièce nous vient d’un ère où les drogues n’était pas réglementées. Au début du 20e siècle, on pouvait facilement se procurer de l’opium sous forme liquide appelée laudanum, largement prescrite pour tout, des crampes menstruelles à l’hystérie et la dépression. On trouvait de la cocaïne dans maintes formes à presque toutes les fonctions de la haute société et elle était la drogue de choix de Sigmund Freud et du pape Léo XIII, entres autres. C’est toujours sage de ne pas juger une époque révolue avec des yeux contemporains.

Ma guitare Godin Seagull

Ma guitare Godin Seagull


Un des premiers disques que j’ai acheté était une collection de pièces du révérend Gary Davis où il jouait « Cincinnati Flow Rag. » Le révérend a enregistré cette pièce une douzaine de fois et ne la jouait jamais deux fois de la même façon. La disque que j’avais est disparu depuis longtemps et je n’arrive pas à trouver cette version particulière de « Cincinnati Flow Rag » mais elle est inoubliable, avec ses cris de champ. Je la joue comme je m’en souviens.

Pour faire cet enregistrement, j’ai choisi ma Godin Seagull, une guitare faite à la main à La Patrie, Québec.

 

Richard Séguin – voix et guitare acoustique

 

Candyman + Cincinnati Flow Rag

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