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« Hard Time Killing Floor Blues » de Skip James

Nehemiah “Skip” James (1902 – 1969) était un chanteur, guitariste, pianiste et compositeur américain se spécialisant dans le blues du Delta. James accordait sa guitare à un accord peu commun de D mineur ouvert, même si ses chansons étaient jouées et chantées en D majeur. Les tonalités et résonances résultantes donnaient à sa musique une qualité sinistre et hantée, encore plus que le blues plus conventionel. James a appris cette façon d’accorder une guitare de son mentor, le bluesman Henry Stuckey, jamais enregistré, qui lui l’avais appris en France de soldats bahamiens durant la Première Grande Guerre.

Les premiers enregistrements de James avec Paramount Records ont eu lieu en 1931 mais les ventes étaint pauvres, publiés commes ils l’étaient durant la Grande Dépression, où les gens n’avaient pas d’argent à dépenser sur des disques. Comme la plupart des bluesmen enregistrés durant cette première grande vague d’enregistrements par les compagnies du nord, James a disparu dans l’obscurité jusqu’à ce qu’il soit redécouvert en 1964, durant le renouveau folk et blues. Durant ce temps James a joué à des festivals de folk et blues, s’est produit en concert à travers le États Unis et en Europe, et a enregistré plusieurs disques pour plusieurs compagnies. Ses pièces ont influencé des générations de musiciens et ont été adaptées par plusieurs artistes.

James a enregistré 18 chansons en 1931, plusieures d’entre-elles qui sont maintenant des classiques du canon du blues, comme celle que j’ai choisie ici, « Hard Time Killing Floor Blues », une chanson de la Grande Dépression qui parle de gens en mouvement perpétuel, comme des phantômes dans un purgatoire terrestre. Comme d’autres pièces enregistrées par James, c’est un des premiers exemples d’une fusion de la musique gospel avec le blues. Son House, qui enregistrait pour Paramount à la même époque, jouait aussi dans ce nouveau style gospel/blues – pas très surprenant puisque James et House étaient tous deux des ministres ordonnés. Plus tard dans les années 60, le style gospel/blues a été développé par des artistes comme Ray Charles et Aretha Franklin.

Une excellente version de la pièce « Hard Time Killing Floor Blues », jouée par Chris Thomas King, fait partie de la bande sonore du superbe film des frères Coen, « Oh Brother, Where Art Thou? » La bande sonore a gagné trois Grammys, y compris le Grammy pour le meilleur disque de l’année en 2002.

Quelques expressions utilisées dans la chanson ont besoin d’une explication : « killing floor » est une expression courante du blues et désigne la partie d’un abattoir où les animaux sont abattus; « dry long so », utilisé moins fréquemment, veut dire épuisé par la pauvreté.

À la fin de 1966, le trio rock Cream (Eric Clapton, Jack Bruce, Ginger Baker) a publé son premier disque, qui comprennait plusieurs standards du blues, y compris « I’m So Glad » de Skip James, un autre de ses enregistrements de 1931. Toujours respectueux de la musique blues et des pionniers du genre, Clapton s’est assuré que les crédits de composition pour ces vieilles pièces étaient tous attribués aux compositeurs originaux. Ceci était en contraste avec d’autres groupes de l’époque, tels The Rolling Stones et Led Zeppelin, qui usurpaient honteusement les crédits de composition de ces vieux bluemen agonisants ou morts, allant même jusqu’à voler d’artistes contemporains comme Ry Cooder et Bert Jansch.

Dans les années 70, Jack Bruce jouait au Spectrum de Philadelphie avec Leslie West et Corky Laing du groupe Mountain. Bruce a rencontré dans le vestiaire une vieille dame assise incomfortablement parmi un vacarme de musique rock. C’était la veuve de Skip James. Elle avait voyagé jusqu’à Philadelphie pour remercier Bruce d’avoir enregistré « I’m So Glad. » Elle lui a dit que sa famille avait reçu plus d’argent des royautés de composition pour cette seule pièce que Skip James en avait accumulé durant toute sa carrière de musicien. L’argent lui a permi de recevoir des soins médicaux adéquats durant ses derniers jours, ainsi que des funérailles honorables. Parfois, tout simplement faire la bonne chose peut changer des vies.

J’ai enregistré « Hard Time Killing Floor Blues » comme James l’a fait en 1931. Ma voix et ma guitare, accordée en D mineur ouvert, sont enregistrées directement par microphone, comme on le faisait dans les temps pré-numériques.

 

Richard Séguin – voix et guitare

 

Hard Time Killing Floor Blues

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