En 1965, j’avais 15 ans, j’étais en deuxième année au secondaire, ma vie était pleine de santé et de musique, et j’avais fait des amis qui, j’en était convaincu, seraient des amis pour la vie.
1965 fut un point de repère pour la musique populaire, une année où tout a éclaté. Nous avions, en même temps, « Like A Rolling Stone » de Dylan, « (I Can’t Get No) Satisfaction » des Rolling Stones, « California Girls » des Beach Boys, « Ferry Cross The Mersey » de Gerry and the Pacemakers, « Ticket To Ride » des Beatles, « You’ve Lost That Lovin’ Feeling » des Righteous Brothers, « Papa’s Got A Brand New Bag » de James Brown, « Needles and Pins » de Del Shannon, « My Girl » des Temptations, et plusieurs autres chansons inoubliables. Toute cette merveilleuse musique nous encerclait, comme l’air qu’on respirait.
Les Ravens Martin Cunningham, Roch Tassé, Richard Séguin et Pierre Lafleur
À l’époque, j’avais commencé à jouer de la guitare, tout comme deux de mes meilleurs amis, Martin Cunningham et Pierre Lafleur. Un autre ami, Roch Tassé, jouait de la batterie. Pourquoi pas former un orchestre!!? Et c’est ce qu’on a fait. On a eu le courage de jouer à une des danses du secondaire et on se nommait les Ravens. Tous les quatre, nous étions habillés en noir – cols roulés noirs, pantalons noirs, bas noirs, souliers noirs. On a joué pour peut-être une demi-heure et ce fut le seul concert qu’on a réalisé!
Plus de 50 ans plus tard, j’ai eu raison pour au moins une chose – mes amis de jeunesse en 1965 sont toujours mes amis. Des amis pour la vie. Roch jouait avec les Ravens, il a joué sur mes premiers enregistrements des années 70 et, bien sûr, il joue tout ce qui est percussion sur mes enregistrements courants. Il est la définition même d’un vrai ami. Martin joue toujours de la guitare, on se voit régulièrement et nos déjeuners font partie de notre routine. Pierre ne joue plus et nous sommes séparés par plusieurs kilomètres et une grande rivière mais nous sommes toujours proches, même si on ne se voit pas aussi régulièrement qu’on aimerait.
Cet été, Martin m’a demandé de jouer sur un des mes enregistrements. J’ai vu tout de suite que c’était quelque chose qui lui tenait à cœur. Martin a été là pour moi pendant toute ma vie, prêt à me donner la chemise de son dos, et la dernière chose que je pourrais faire serait de lui refuser quoi que ce soit. Alors c’était fait accompli. C’était la suggestion d’Alrick de « ressusciter » les Ravens pour le site web et nous voici (sans les vêtements noirs), la photo prise dans ma cour arrière au début de septembre. Je discute présentement avec Martin pour collaborer prochainement sur une pièce des Beatles!
Pour cet enregistrement, j’ai choisi une autre pièce très populaire de 1965, la plus superbe de toutes les années – « The Last Time » des Rolling Stones.
J’écoute Chuck Berry depuis l’âge de six ans. J’ai eu la chance d’être témoin du bouleversement social qu’était le rock ‘n roll du milieu des années 50. J’ai aussi été très chanceux d’avoir un grand frère qui me laissait jouer sa superbe collection de disques. Mes préférés étaient Chuck Berry, Jerry Lee Lewis et Little Richard. Ça ne m’est jamais venu à l’esprit que certains de ces artistes étaient noirs, d’autres blancs. Mais c’était exactement ce qui préoccupait l’industrie du disque.
Je n’ai jamais entendu « The Promised Land » à la radio quand Chuck Berry l’a publié en 1964. En 1971, j’ai entendu deux versions différentes de la pièce – Johnnie Allen a sorti une superbe interprétation cajun (avec le magnifique Belton Richard à l’accordéon) et Rockpile, le groupe de Dave Edmunds, a suivi avec sa super version rock. C’était pratique courante à l’époque d’entendre des reprises à la radio, où un hit par un artiste noir était réenregistré en vitesse par un artiste blanc, qui obtenait toute la diffusion. La pièce de Chuck Berry « Brown-Eyed Handsome Man » (1956) était originalement nommée « Brown-Skinned Handsome Man » mais c’était plus facile d’obtenir de la diffusion à la radio avec le nouveau nom. Pour ce qui est de « The Promised Land », la pièce était largement ignorée en 1964 parce que Chuck Berry sortait juste de prison et l’industrie du disque ne voulait pas s’en mêler. On chuchotait qu’il avait été emprisonné pour une affaire de prostitution mais Chuck Berry fut emprisonné parce qu’il était un homme noir qui ne connaissait pas sa place.
On a promulgué le Mann Act aux États-Unis pour tenter de contrôler la prostitution ou tout autre acte « immoral » impliquant le transport entre États. En pratique, le Mann Act donnait carte blanche pour l’arrestation de n’importe quel noir, pour n’importe quelle raison. Jack Johnson, le premier Afro-américain champion mondial de la boxe, fut arrêté deux fois en 1916 en vertu du Mann Act, pour avoir eu une copine blanche. En 1959, Chuck Berry était beau, riche, conduisait une Cadillac, portait des vêtements criards et avait plusieurs copines, certaines blanches. Un policier blanc qui pouvait difficilement nourrir sa famille avec son salaire de crève-faim ne pouvait pas laisser ça aller. On devait lui montrer sa place. Chuck Berry fut arrêté en 1959, condamné à cinq ans de prison, une sentence réduite à trois ans plus tard. Il fut incarcéré pour un an et demi.
La discrimination raciale est enracinée dans la société amécaine depuis des siècles. Ils s’en ont fait une Guerre civile. Je refuse de me lancer dans les attocités survenues en 1916 dans l’affaire Jesse Washington, mais je vous encourage de le faire. Il est important de connaître qui ses voisins sont vraiment.
Dans ma vie, j’ai été témoin du lynchage systématique et du meutre de noirs aux États-Unis. Le 21 juin 1964, quand je commençais mon secondaire, trois travailleurs des droits civiques sont disparus après que la police de Philadelphia, au Mississippi, les avaient arrêtés. Ils faisaient partie de la campagne « Freedom Summer » pour aider les noirs à s’enregistrer pour voter. Le 4 août, le FBI a trouvé les corps des trois hommes dans un barrage de terre, enterrés avec huit autres corps d’hommes noirs lynchés auparavant. L’excellent film d’Alan Parker « Mississippi Burning » (1988) est basé sur cet incident. Dernièrement, le film « BlacKkKlansman » de Spike Lee (2018) se penche sur un autre incident impliquant le lynchage et le Klu Klux Klan. Et il ne faut pas oublier Colin Kaepernick, le talentueux jeune quart-arrière des 49ers de San Francisco qui a eu l’audace de s’agenouiller pendant l’hymne national pour protester la brutalité policière et l’oppression des Noirs. L’Amérique blanche, suivant le plus gros idiot du pays, n’a pas tardé à tout changer ça en un manque de respect envers les forces armées, un sujet sacro-saint chez nos voisins belliqueux, et Kaepernick n’a pas joué au football depuis. Le monde raisonnable a vite trouvé ça risible et Nike a lancé une nouvelle campagne de promotion avec Kaepernick comme porte-parole, menant à des incendies répandus de souliers Nike, tout comme on brûlait les disques rock ‘n roll dans les années 50.
Je n’ai entendu la version originale de « The Promised Land » que dans les années 80. Ça m’a fait sourire parce que ça me rappelait le hit de Chuck Berry en 1958, « Sweet Little Sixteen .» À l’époque, j’étais en troisième année et j’avais soif de connaissances et le refrain de « Sweet Little Sixteen » mentionnait le nom sept villes et lieux – c’était comme une leçon de géographie gratis! Par contre, « The Promised Land » mentionne pas moins de ving-et-un noms de villes ou de lieux! À la surface, les paroles de la pièce sont à propos d’un trajet de bus de la côte est des États-Unis à la côte ouest, plein de problèmes moteur, des contretemps et d’autres ennuis. Ayant déjà décidé d’enregistrer la pièce, j’étais curieux au sujet de Rock Hill (Caroline du sud), que j’ignorais complètement. J’ai trouvé qu’en 1961, quand Chuck Berry écrivait « The Promised Land » de sa cellule de prison, Rock Hill fut le premier stop d’un jeune groupe d’activistes politique nommé les « Freedom Riders », qui, à bord d’autobus, traversait les États-Unis pour protester contre la ségrégation dans toutes les installations publiques. Quand ils ont débarqué à Rock Hill, ils ont été battus par une foule de blancs, incontrôlée par la police. Les « Freedom Riders » ont fait plusieurs arrêts sur leur trajet à travers le Sud. À Charlotte (Caroline du nord), certains ont été arrêtés, d’autres battus. En Alabama, un de leurs autobus a été incendié. À Birmingham (Alabama), une autre foule de blancs les ont attaqué. À ce moment, on a dû évacuer les « riders » à la Nouvelle-Orléans, prenant soin d’éviter Rock Hill, lieu des premières violences. Tout était juste là devant moi, tous les lieux mentionnés dans la chanson. J’avais trouvé le vrai sens de « The Promised Land. »
Et ça, c’est Chuck Berry. À la surface, il est un grand chanteur, un compositeur doué plein d’imagination, un parolier plein d’esprit et un guitariste talentueux et influent.
Richard et Roch
Mais si on regarde sous la surface, Chuck Berry est un des artistes les plus importants du vingtième siècle.
Richard Séguin – voix, guitares électriques, contrebasse électrique