Lorsque Muddy Waters est arrivé à Chicago en 1943, tous les musiciens qui cherchaient un peu d’argent se rassemblaient au marché de la rue Maxwell. Le marché offrait toutes sortes de magasins : des épiceries, des boutiques de produits agricoles, de viande et de poisson, des textiles et des vêtements, des bijoutiers, des barbiers, des pharmacies, des prêteurs sur gages, les arrière-salles dévouées aux jeux de cartes et aux dés. C’est là que Muddy a rencontré le guitariste Jimmy Rogers et les deux hommes se sont liés d’amitié, les deux venant du Delta, les deux élevés par leurs grand-mères. Rogers a présenté Muddy à Little Walter, un jeune bolide fou qui portait déjà les cicatrices de plusieurs altercations à couteaux tirés sur sa figure. Muddy disait que Little Walter « pouvait penser deux fois pour ta une » et il a poussé l’harmonica vers des terrains inconnus. Ils ont formé un orchestre avec Baby Face Leroy à la batterie et ils ont commencé à jouer dans des clubs comme le Zanzibar, le Chicken Shack, le Purple Cat, Silvio’s et le Du Drop Inn. Rogers se souvient que les clubs étaient violents. « Un type devenait affolé et commençait une bagarre avec sa blonde. Quelqu’un était coupé, quelqu’un tiré. »
Quand le batteur « Elgin » Edmonds et le pianiste Otis Spann se sont joints au groupe, Muddy avait finalement assemblé un vrai orchestre de blues. La photo à droite nous montre Muddy, Henry Armstrong, un peintre d’enseignes qui produisait des affiches pour l’orchestre, Otis Spann au piano, Henry « Pot » Strong à l’harmonica, le batteur Elgin Edmonds en arrière-plan et Jimmy Rogers à la guitare. Tout le monde connaissait Henry Strong comme « Pot » à cause de son penchant pour un joint. Peu après que cette photo fut prise, Jimmy Rogers a conduit Pot chez lui. Muddy était parti plus tôt et y était déjà. Une querelle entre Pot, un coureur de jupons, et son épouse jalouse Juanita a fini brusquement quand elle l’a poignardé, perçant son poumon. Muddy a trouvé Pot tout ensanglanté sur le plancher de marbre du lobby, l’a enroulé dans une courtepointe et l’a conduit à l’hôpital mais Pot est décédé en chemin. Il avait 25 ans.
C’est à cette époque que le blues, auparavant une musique rurale, est devenu une musique urbaine. Les instruments électriques, et surtout la batterie, ont subjugué les foules sauvages et le rythme solide a expédié tout le monde sur le plancher de danse. Le blues était maintenant une musique de danse et sa popularité est montée en flèche.
Le joueur d’harmonica Willie Foster se souvient d’une visite à l’appartement de Muddy où Willie Dixon a répondu à la porte. Muddy se rasait dans la salle de bain et s’est sortit la tête pour demamder à Foster s’il était prêt. « Ready as anybody can be, » a-t-il répondu. Muddy et Willie Dixon se sont regardés et la pièce « I’m Ready » s’est écrite d’elle-même dans quelques jours. Un peu plus tard, le pianiste Sunnyland Slim a présenté Muddy aux frères Chess. Le premier septembre 1954, ils ont enregistré leur première session au nouveau studio Chess, ce qui nous a donné « I’m Ready. » L’enregistrement s’est fait avec Little Walter à l’harmonica chromatique, Otis Spann au piano, Willie Dixon à la contrebasse, Fred Below à la batterie, Jimmy Rogers à la guitare, et Muddy qui chante la pièce. La chanson a gagné la position 4 sur le hit parade Billboard.
Dans un article intitulé « Pop Music Rides Tidal Wave, » la revue Billboard a déclaré que le rhythm and blues n’était plus limité au public noir. Les jeunes blancs du quartier achetaient maintenant les disques usagés des juke-box, tout particulièrement les disques de Muddy Waters, Ruth Brown et Willie Mabon. La popularité du blues voyageait vers un public blanc. À Memphis, le producteur de disques Sam Philips a débuté Sun Studios et le talent qu’il enregistrait était superbe : Johnny Cash, Jerry Lee Lewis, Carl Perkins, Howlin’ Wolf et, bien sûr, Elvis Presley. Un disc jockey nommé Alan Freed (1921-1965) a fait sensation avec la musique qu’il jouait à la radio, la nommant « rock and roll, » une expression utilisée premièrement dans la revue Billboard en 1946. Par le temps que j’ai eu mes cinq ans, mon frère Gabriel, si talentueux et si généreux, m’avait introduit patiemment à la musique de son temps. En écoutant cette musique, mon monde obscur s’est consolidé et est devenu réel.
Richard Séguin – voix, guitares électriques
Alrick Huebener – contrebasse électrique
Roch Tassé – batterie