Dans les années 60, quand j‘apprenais à jouer de la guitare, tout le monde parlait de trois guitaristes britanniques: Eric Clapton, Jeff Beck et Jimmy Page. Tous les trois ont eu des carrières spectaculaires et ils ont tous débuté en jouant du blues, tous les trois tour à tour avec le groupe rock The Yardbirds. En les écoutant, j‘ai pu connaître la musique électrique du blues de Chicago, jouée par des artistes comme Muddy Waters, Howlin‘ Wolf et Sonny Boy Williamson, mais la grande affection que Clapton avait pour la musique de Robert Johnson m‘a mené vers le sud et le delta du Mississippi, où un blues tout à fait différent était joué par des artistes tout à fait différents.
Je ne m‘attendais pas à ce que j‘ai découvert – un monde d‘hommes inconnus (et quelques femmes aussi) qui ont pris une guitare, l‘ont battu sans merci, tout en criant leur mécontentement pour tout le monde à entendre. C‘était de la musique « adulte » – pas de « She loves you, yeah, yeah, yeah » mais plutôt « Goin‘ down to Eli‘s / Get my pistol out of pawn / When I got home / My woman was gone »; c‘était « Early this morning / When you knocked upon my door / I said « Hello Satan / I believe it‘s time to go. » J’ai plongé dans cette musique sombre, répétitive et hypnotique. C‘est difficile à dire ce qui me captivait tant – si j’avais à choisir un mot, je dirais « âme », une expression simple et crue de la condition humaine.
Ces hommes n‘étaient dans aucun sens des musiciens « professionnels » – ils jouaient de toute façon imaginable, avec des cous de bouteilles en verre (un slide), sur des guitares en métal ou fabriquées de boîtes à cigares, utilisant toutes sortes de façons bizarres d‘accorder la guitare. Ils étaient des musiciens solos acoustiques, ce qui m‘attirait beaucoup. Je voulais jouer comme eux – j‘aimais le minimalisme, j‘aimais l‘abandon avec lequel ils jouaient et chantaient, j‘aimais les noms: Sleepy John Estes, Pinetop Perkins, Peetie Wheatstraw (The Devil‘s Son-in-Law).
Un des bluesmen qui m’a le plus impressioné fut Bukka White. Booker T. Washington « Bukka » White (1909-1977) possédait une voix plaintive et jouait une guitare en acier National avec un slide, la guitare accordée étrangement en E mineur ouvert. Il a plusieurs pièces à son crédit, dont « Shake ‘Em On Down », « Fixin’ to Die » et « Parchman Farm Blues » (en 1937, White fut condamné pour une fusillade et a passé du temps au pénitencier infâme Parchman Farm dans le Mississippi rural). La première pièce que je joue ici est ma version de « Fixin’ to Die. »
Aussi à travers d‘Eric Clapton, qui a enregistré « I’m So Glad » avec son groupe rock Cream, j‘ai commencé à écouter la musique de Skip James. Nehemiah Curtis “Skip” James (1902-1969), comme Bukka White, jouait en E mineur ouvert, un accordement que les deux ont probablement appris de Henry Stuckey (1897-1966).
On dit que Stuckey a appris cette façon d’accorder la guitare de soldats bahamiens quand il servait en France durant la première guerre mondiale. James est aussi crédité de “Cypress Grove Blues” que je joue ici, malgré que ma version s‘approche plus de l’enregistrement définitif de cette pièce par Doc Watson. Dans la photo à droite, Mississippi John Hurt regarde Skip James jouer. J‘ai appris à jouer dans le style que vous entendez ici en écoutant les enregistrements de Mississippi John.
Ce n’est pas toujours la peste et la ruine avec le blues et un secteur important en est spirituel. La troisième pièce que je joue ici est « Prodigal Son », un récit captivant de la parabole biblique. Le réverend Robert Wilkins (1896-1987) est de descendance Cherokee et a connu beaucoup de succès durant le renouveau folk des années 60.
Tous ces merveilleux bluesmen sont décédés durant ma vie, plusieurs quand je n’était qu’un jeune homme. La plupart des gens furent aussi indifférents à leur perte qu’ils étaient ignorants de leur présence. Leur façon de jouer est maintenant passée mais je vous encourage de visiter YouTube et écouter ces grands du 20e siècle.
Fixin’ To Die/Cypress Grove Blues/ Prodigal Son