« Casey Jones » de Furry Lewis

Quand Thomas Edison a inventé le phonographe en 1877, il y avait ce sens que le monde changeait et se précipitait vers le futur à un vitesse étourdissante. Communément appelée une « machine parlante » (par la suite connue comme gramophone, d’où nous vient le nom du prix Grammy), elle s’est associée à la machine à écrire, la caisse enregistreuse et la machine à coudre comme les merveilles de l’âge. À l’époque, la revue Scientific American a dit du phonographe : « rien ne peut être conçu qui serait plus probable à créer des plus profondes sensations, à susciter des plus vives émotions humaines, que d’entendre à nouveau la voix familière des défunts. »

J’ai écouté la « voix familière des défunts » pour presque toute ma vie, grâce au travail des compagnies qui ont trouvé des façons d’enregistrer le son électroniquement et fabriquer des machines à enregistrer portables. Vers la fin des années 1920, plusieurs compagnies du nord des États-Unis ont parcouru le Sud afin d’enregistrer de la musique ethnique de toutes sortes et, bien que la plupart de ces enregistrements aient disparu dans l’obscurité, ils demeurent dans notre mémoire.

Harry Smith (1923-1991) était un bohémien excentrique et étudiant d’anthropologie autodidacte qui a développé, entre autres intérêts, une manie de collectionner des vieux disques, les 78 tours étant le seul format disponible à l’époque. Il a accumulé une collection de plusieurs milliers de ces disques et, avec le temps, il s’est intéressé à les préserver. En 1950, il a présenté les meilleurs enregistrements de sa collection à Moe Asch, le président de Folkways Records, avec l’idée de les vendre. Asch a plutôt suggéré que Smith utilise tout ce matériel pour éditer une anthologie de musique folk sur microsillons, la fine pointe de la technologie de l’époque, avec l’espace et l’équipement que Asch possédait. Les trois microsillons résultant (maintenant 6 CDs) contenaient 84 chansons, publiées en 1952 comme « The Anthology of American Folk Music. » C’est devenu la Bible du renouveau folk et blues des années 1960.

Les pièces de l’anthologie ont tous été enregistrées entre 1926 et 1933. Tous les artistes étaient inconnus à l’époque mais certains d’entre eux sont devenus célèbres par la suite. Aujourd’hui, je vous présente un de ces artistes, le guitariste/compositeur/chanteur Furry Lewis.

Walter E. « Furry » Lewis (1893 – 1981) est né à Greenwood, au Mississippi. Sa famille a déménagé à Memphis quand il avait sept ans, où il a acquis le sobriquet « Furry » de ses camarades de jeu. En 1908, il jouait déjà à des rencontres, aux tavernes et sur la rue. On l’a aussi invité à jouer plusieurs fois avec W.C. Handy et son orchestre – W.C. Handy est devenu par la suite un des plus influents des compositeurs américains. Dans ses voyages comme musicien, Lewis a rencontré une variété d’interprètes, tels Bessie Smith et Blind Lemon Jefferson, diversifiant son portefeuille impressionnant. Lewis a parcouru le Sud, souvent dans des spectacles de music-hall présentés par les « medicine shows » itinérants.

En 1917, en tentant de sauter sur un train en marche, la jambe de Lewis a resté prise dans un couplage et il est tombé sous les roues du train. L’accident, presque fatal, a mené à l’amputation de sa jambe gauche. Forcé à porter une prothèse pour le restant de ses jours, il s’est fatigué de voyager et, en 1922, il s’est trouvé un poste permanent, nettoyant les rues de Memphis jusqu’à sa retraite en 1966. Toujours passionné de la musique, Lewis a continué à jouer dans la région. En 1928, Lewis a enregistré quelques pièces de blues pour Victor Records, dont deux chansons de chemin de fer, « Casey Jones » (parfois épelée « Kassie Jones ») et « John Henry .» Lewis avait appris ces pièces d’un musicien de rue à Memphis connu tout simplement comme Blind Joe.

Comme plusieurs bluesmen de son époque, Furry Lewis a connu un regain d’intérêt durant le renouveau folk et blues des années 1960. Il a fait plusieurs nouveaux enregistrements, a joué sur le Tonight Show avec Johnny Carson, a joué en première partie pour les Rolling Stones deux fois, fut l’objet d’un profil dans la revue Playboy et a tenu un rôle dans « W.W. And The Dixie Dancekings », un film de Burt Reynolds (1975). En 1973, il fut nommé Colonel honoraire de l’État du Mississippi, une distinction aussi accordée à Duke Ellington et Elvis Presley. En 1976, Joni Mitchell a composé et enregistré une chanson pour Lewis, intitulée « Furry Sings The Blues. » Vers la fin de sa vie, Lewis a commencé à perdre sa vue à cause de cataractes et, en 1981, il a contracté une pneumonie qui a menée à sa mort, d’une attaque cardiaque, à l’âge de 88 ans.

La pièce « Casey Jones » de Lewis introduit une tranche insolite de deux temps pour diviser les deux parties de chaque verset mais c’est son vocal syncopé et rythmique qu’on continue d’entendre dans tellement de pièces enregistrées par la suite, que ce soit du R & B, du rock ‘n roll et même du rap.

Jonathan Luther « Casey » Jones (1863 – 1900) de Jackson au Tennessee était un chef de train pour la Illinois Central Railroad. Il a été tué le 30 avril, 1900, quand un virage serré a placé son train en collision avec un autre train de marchandises au point mort sur la voie ferrée, près de Vaughn au Mississippi. Jones a réussi à réduire la vitesse de son train de telle façon qu’il est crédité d’avoir sauvé la vie de tous les passagers. Casey Jones fut la seule victime de l’accident et sa légende a grandi par la suite.

Quelques précisions sur les termes utilisés dans la chanson :
– « Drivers », aussi appelés « driving wheels » désignent les roues sous l’engin du train, tous accouplés par une tige poussée par les pistons de la locomotive. Ce sont ces roues qui propulsent le train, les autres roues servant de support.
– « Eastman », fort probablement, est une référence au gang de rue Eastman qui dominait le crime organisé à New York dans le quartier Five Points de Manhattan vers la fin du 19e siècle. Comme indice, le protagoniste de la chanson vend du gin et n’a pas besoin de travailler! L’ère des gangs de New York est bien captée dans le film « Gangs of New York », de Martin Scorsese (2002).

 

Richard Séguin – voix, guitare acoustique, percussion (boîte de carton)

 

Casey Jones

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