La vie de John Smith Hurt (1893-1966) était comme beaucoup d’autres dans le Mississippi rural au tournant du dernier siècle. Il a vécu à Avalon, un village endormi sur le bord du delta trop petit pour apparaître sur les cartes modernes. Il est devenu un fermier et métayer, comme beaucoup d’autres. S’il s’est démarqué de quelque sorte c’est en apprenant la guitare à l’âge de neuf ans. Andres Segovia a dit, en parlant du grand guitariste classique John Williams : « Dieu a posé un doigt sur son front. » Je crois que Dieu est ensuite passé à Avalon, au Mississippi.
En grandissant, John Hurt jouait pour des danses et des fêtes, chantant avec son magnifique style de doigté, issu d’une source commune qui avait produit à la fois le blues et la musique country. Il était un lien avec un passé lointain qui résonnait encore dans son jeu : pas blues, pas country et pourtant les deux. Sa pièce « If You Don’t Want Me Baby » que j’interprète ici, est un exemple classique de ce genre. Ses paroles sont aussi tellement attachantes, pleines d’intimité et de désir. Une simple phrase comme « I tried so hard to do my father’s will » dit clairement sans toutefois spécifier que le fils dévoué n’a pas réussi.
Sa musique a rendu Hurt populaire auprès des Mississippiens blancs et noirs. En 1923, il a rencontré un violoneux blanc du nom de Willie (William Thomas) Narmour (1889-1961) et ils devinrent une attraction locale populaire. En 1928, lorsque Narmour remporta un concours de violon et une chance d’enregistrer pour Okeh Records, il a recommandé John Hurt à ses producteurs. Après une audition, Hurt a enregistré deux sessions, à New York et à Memphis, qui ont donné 20 pièces, dont seulement quelques-unes ont été publiées. Les chansons sont parues sous le nom de Mississippi John Hurt. Hurt ne s’est jamais soucié de l’étiquette « Mississippi », que les producteurs blancs croyaient conférer de l’authenticité à l’artiste, de la même façon que la désignation « Blind » était censée ajouter du respect et de l’admiration à l’artiste. Les ventes de disques de John Hurt furent pauvres pendant la Grande Dépression et Okeh Records a fait faillite en 1935, bien que relancé un certain nombre de fois dans les années suivantes. John Hurt retourna dans l’obscurité de sa vie ordinaire à Avalon, au Mississippi.
En 1952, quelques-uns des premiers enregistrements de John Hurt furent inclus dans la Anthology of American Folk Music de Harry Smith, qui a suscité un intérêt considérable chez de nombreux amateurs de folk de New York. Dix ans plus tard, une véritable renaissance populaire a pris le dessus et de nombreux artistes du passé ont refait surface et ont joui d’une immense popularité au cours de leurs dernières années.
Armé du seul indice que Hurt avait laissé sur sa vie : une référence à « Avalon, my home town », dans une chanson appelée « Avalon Blues », deux musicologues blancs se rendirent au Mississippi à la recherche de son auteur. Ils ne s’attendaient pas à le trouver vivant. Avec beaucoup de difficulté, ils localisèrent la cabane de John Hurt. Agé de 69 ans, Hurt fut étonné que quelqu’un le cherchait. Il ne faisait pas confiance aux blancs en complets, toujours de mauvaises nouvelles à l’époque, et n’avait aucune envie de quitter sa ville natale. À la longue, les musicologues l’encouragèrent à déménager à Washington, D.C. et à se produire pour un public plus large. Sa performance au Festival folk de Newport en 1963 a fait monter son étoile auprès des puristes de la renaissance folklorique de l’époque. Un petit homme aux yeux larges et joyeux, Hurt fut introduit sur la scène nationale pour être acclamé par tous. Cependant, à ce moment-là, il était un aîné et il ne lui restait plus que trois ans à vivre. Il a donné de nombreux concerts dans des universités, des salles de concert et des cafés et est apparu sur le Tonight Show avec Johnny Carson. Il a également enregistré trois albums pour Vanguard Records et une grande partie de son répertoire fut également enregistrée pour la Bibliothèque du Congrès. Si l’homme d’Avalon savait à quel point il était important, il ne l’a jamais dit. John Smith Hurt retourna chez lui à Avalon à l’automne 1966 et mourut d’un arrêt cardiaque, le 2 novembre de la même année.
De nombreux guitaristes qui ont atteint l’âge adulte dans les années 1960 et de nombreux autres qui ont suivi ont été touchés par la magie de la musique de John Hurt et par sa personnalité chaleureuse. J’étais l’un d’entre eux, mais le fait d’apprendre le style de Mississippi John m’a également confié beaucoup de valeur de soi, ce qui manquait autrement dans ma vie. Je lui dois tant.
En 2003, la petite-fille de John Hurt, Mary Frances Hurt Wright, n’ayant pas visité le Mississippi depuis un certain temps, a soudainement été prise par le besoin de revoir la maison de son grand-père. Alors qu’elle était là, à contempler les forces qui l’avaient ramenée chez elle, l’homme qui était présentement propriétaire de la terre sur laquelle se trouvait la maison de son grand-père remarqua que « Dieu lui avait dit » que Mary serait là ce jour-là. Il a donné la maison à Mary. Avec 5 000 dollars donnés par un banquier local de Carrollton qui se souvenait que « Daddy John » jouait de la guitare pour sa mère, Mary a fait déménager la maison sur un terrain de deux acres juste en haut de la route, la restaurant comme musée et attrait pour les musiciens et les fans. Beaucoup de ces fans se rendent à Avalon chaque année pour le Mississippi John Hurt Music Festival.
Richard Séguin – voix, guitare acoustique, percussion (pied)