La vieille pièce traditionnelle de violon intitulée « Sail Away Ladies » a été incluse dans la compilation novatrice de six albums lancée en 1952 par Harry Smith sous le nom de Anthology of American Folk Music, une collection qui a jouée un rôle déterminant dans l’essor du renouveau folk des années 1950 et 1960. Bien que « Sail Away Ladies » a été enregistré pour la première fois en 1926 par John L. « Uncle Bunt » Stevens (1879-1951), la pièce a ses origines dans les îles britanniques du XVIIIe siècle. Le jeu magnifique de l’oncle Bunt, avec ses échos des violons cajuns de la Louisiane, évoque le son des activités folkloriques d’une époque lointaine, des tâches comme le décortiquage du maïs, les levées de granges, les parties de courtepointe et les divertissements comme les danses carrées. C’est, pour moi, l’un des meilleurs enregistrements de la première moitié du XXe siècle.
John Stephens a été agriculteur pendant la majeure partie de sa vie. Il est rapidement devenu célèbre en 1926 lorsqu’il a participé à des compétitions régionales de violon traditionnel et a ensuite remporté le titre de champion du monde du violon traditionnel, devançant 1 876 autres violoneux dans la série de concours du magnat de l’automobile Henry Ford. Les compétitions ont eu lieu chez les concessionnaires Ford à travers l’Est et le Midwest et les gagnants des concours locaux ont été amenés à Detroit pour jouer dans la ronde de championnat. Le prix de Stephens aurait été de 1 000 $, un nouveau complet, une voiture et un nouveau dentier. Après avoir enregistré quatre 78 tours pour Columbia Records et effectué une courte tournée avec quelques apparitions sur la scène du Grand Ole Opry, l’oncle Bunt a pris sa retraite de la vie publique et est retourné à sa ferme dans le comté de Bedford, au Tennessee.
Les paroles de la chanson proviennent d’un enregistrement de l’oncle Dave Macon en 1927. Les paroles de l’oncle Dave sont essentiellement absurdes mais amusantes. J’ai choisi d’incorporer dans ma version de la pièce les paroles des versions afro-américaines de “Sail Away Ladies. » Pour en savoir plus sur l’oncle Dave Macon et sa musique, cliquez ici.
Bien que « Sail Away Ladies » ait été enregistré des centaines de fois par des centaines d’artistes, presque toutes les versions disponibles sont identiques. L’exception notable est un enregistrement de 1957 d’Odetta (Holmes,1930-2008), une merveilleuse interprétation folk/blues relaxe. J’ai basé ma version de la chanson exclusivement sur les enregistrements de l’oncle Bunt et d’Odetta. J’ai également choisi d’utiliser ma nouvelle mandoline exclusivement sur cette pièce. Après tout, les mandolines et les violons sont accordés de la même façon.
Quand j’avais 11 ans, ma mère n’aimait pas mon comportement maussade suite à la mort de mon frère Gabriel et m’a inscrit dans la fanfare de Rockland. J’ai joué du baryton pendant deux ans et je me souviens qu’un copain plus judicieux assis à côté de moi me disait toujours de ne pas jouer si fort ! Je n’aimais pas la formalité rigide d’apprendre à lire la musique et à jouer des compositions d’une manière prédéterminée. Je voulais jouer comme mon frère avait joué et son jeu, influencé par son héros Jerry Lee Lewis, était abandonné et très loin du rigide. Pour moi, c’est ainsi que la musique devait être jouée et quand mon frère Robert m’a guidé vers la guitare en 1963, j’ai appris à jouer comme mon frère Gabriel. Je n’ai jamais voulu jouer quelque chose qui serait identique à ce que les autres musiciens jouaient. Mon style de jeu est autodidacte et certainement pas aussi habile que d’autres joueurs mais c’est le mien et c’est la manifestation vivante du don que mon frère Gabriel m’a laissé.Après de nombreuses auditions des enregistrements de l’oncle Bunt et d’Odetta, absorbant l’essence de « Sail Away Ladies », j’ai procédé à des enregistrements d’essai de la chanson comme elle m’est venue. J’ai été très surpris quand mon enregistrement gravitait vers un beat de Bo Diddley ! Mélanger du Bo Diddley (Ellas McDaniel, 1928-2008) avec des airs de violon peut être sacrilège mais j’ai toujours aimé Bo donc j’aimais les résultats. De plus, le 31 décembre dernier, j’ai découvert que la veille du Nouvel An était aussi l’anniversaire de Bo Diddley… et d’Odetta ! J’ai cru que c’était un signe ou une sorte de consentement cosmique, donc je suis allé de l’avant avec ma version. Pour plus d’informations sur Bo Diddley et sa musique, cliquez ici.
Le musicien le plus naturel et le moins sophistiqué que j’ai connu était Alcide Dupuis (1928-2008), un violoneux de Rockland. Oui, j’ai aussi remarqué que les années de naissance et de mort d’Alcide sont identiques à celles de Bo Diddley, comme si j’avais besoin d’un nouveau consentement ! Alcide était un petit lutin d’homme qui a appris à jouer d’un oncle mais il savait seulement où placer ses doigts sur le manche du violon et comment déplacer l’archet pour obtenir les sons qu’il voulait. Alcide ne connaissait ni accords, ni clés, ni notes, ni titres de chansons. Son répertoire comprenait de nombreuses gigues, quadrilles et cotillons qui changeaient de clé en cours de route, le rendant impossible à suivre pour tout autre guitariste local qu’il connaissait. Quand j’ai commencé à jouer avec Alcide, j’avais une bonne oreille et une bonne connaissance de la structure musicale donc j’ai pu le suivre quand il changeait de clé. La première fois que cela s’est produit, Alcide a été étonné – pour la première fois, il entendait ses chansons comme elles étaient censées être jouées. Il était tellement heureux d’avoir trouvé quelqu’un avec qui jouer. Nous avons formé une bonne amitié et nous avons commencé à jouer ensemble, principalement pour des bières dans la taverne de l’hôtel King George à Rockland.
Quand ma carrière d’enregistrement a décollé, on m’a demandé de jouer pour un festival d’automne qui a eu lieu simultanément à la ferme Denis et à l’école secondaire de Plantagenet. J’ai invité Alcide à me rejoindre et je lui ai aussi donné la moitié de la généreuse allocation que j’ai reçue pour le spectacle. Pour Alcide, c’était le grand moment ! Il n’avait jamais été payé pour jouer de la musique de sa vie. Il s’est pointé dans une fabuleuse chemise en soie noire avec un motif de fleurs colorées, un pantalon avec un pli qui aurait coupé l’acier, des chaussures polies et des cheveux tranchés en arrière ! Comme vous pouvez le voir sur la photo, nous avons eu une vraiment bonne soirée. Je n’ai jamais vu deux hommes plus heureux. La guitare que je joue a été faite pour moi en 1976 par Marc Beneteau, un luthier, un bon ami et un guitariste qui a joué avec moi pendant plusieurs années, en concert et sur mes enregistrements.
Voir Alcide se lancer dans une pièce était comme rien d’autre au monde. Ses pièces étaient stockées dans sa mémoire, mais il ne pouvait pas les identifier par titre, clé ou toute autre méthode, alors il grattait son violon jusqu’à ce que les notes le conduisent vers la chanson. Il trouvait son chemin, reliant progressivement les points jusqu’à ce que la mélodie qu’il voulait émerge. Puis, Alcide décollait comme un Boeing 747, conduisant la chanson avec une joie totale, ses pieds tappant des rythmes compliqués en accord avec la musique (il était un « stepper »formidable). Alcide Dupuis était une véritable force de la nature. Il se transformait quand il jouait, son visage se tordant dans un sourire de joie pure. C’était les moments le plus précieux que j’ai jamais eu à jouer de la musique et j’aimerais dédier ma version de « Sail Away Ladies » à la mémoire d’Alcide.
Richard Séguin – voix, mandoline, percussion