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Les ballades de meurtre et « Henry Lee » de Dick Justice

Au début du vingtième siècle, l’invention des technologies d’enregistrement, du phonographe et des disques ont communiqué la musique aux gens ordinaires pour la première fois. Dans les siècles précédents, la musique était le divertissement des riches puisque les théâtres où les symphonies et les opéras se présentaient étaient au delà des moyens du reste de la population. Par contre, une musique différente, plus rurale, a pris naissance, surtout dans les îles britanniques, grâce à des compositeurs comme l’Écossais Robert Burns (1759-1796) et l’Irlandais Turlough O’Carolan (1670-1738). Ces nouvelles ballades, gigues et reels sont arrivés en Amérique avec les colons européens, surtout ceux qui ont colonisé la région des montagnes appalachiennes.

Dans les Appalaches, un type particulier de ballade axé sur les tragédies s’est imposé. Les accidents ferroviaires, les catastrophes minières et les meurtres devinrent le sujet de plusieurs chansons populaires – des douzaines furent composées pour le naufrage du Titanic à lui seul. Les chansons de meurtres, une entreprise purement humaine à la fois aberrante et séduisante, devinrent très populaires et furent connues comme des « ballades de meurtre. » Pour un aperçu de la musique des Appalaches et pour entendre Alrick, Roch et moi jouer mon interprétation de « Little Sadie », une ballade de meurtre très connue, cliquez ici.

La chanson « Henry Lee » est d’origine écossaise avec des liens scandinaves et possède plusieurs versions distinctes avec des mélodies et des paroles différentes. Pour moi, la version définitive fut enregistrée par Dick Justice (1906-1962), un mineur de charbon de la Virginie de l’Ouest. À cette époque, les Noirs et les Blancs étaient rarement associés mais Justice a appris la guitare d’un bluesman Afro-américain de la Virginie nommé Luke Jordan (1892-1952). Les deux furent très habiles avec le fingerpicking, même si Justice délivre « Henry Lee » dans le plus élémentaire des styles. Il n’a enregistré que dix pièces pour Brunswick Records en 1929 mais les ventes étaient compromises par la Grande Dépression. Par après, Justice est retourné aux mines de charbon et une tombe précoce, comme tellement d’autres mineurs. Son enregistrement de « Henry Lee » est la première pièce du Anthology of American Folk Music, quatre-vingt-quatre chansons émises en 1952, qui est devenu la bible du renouveau folk.

« Henry Lee », une ballade de meurtre fondamentale, est divisée en cinq versets – le refus d’une amoureuse potentielle, le meurtre d’Henry Lee, la disposition macabre du cadavre, les menaces de la meurtrière envers un oiseau qui avait témoigné le meurtre et l’avertissement de l’oiseau.

En partie, le charme de ces vieilles ballades est les expressions et les genres de discours qui nous viennent d’un autre temps. Pour « Henry Lee », j’ai choisi de « moderniser » quelques-unes des expressions utilisées par Dick Justice – « bend and bow » devient « bended bow », « wobble » devient « warble », etc. On peut aussi se demander comment un meurtre peut être commis avec un petit canif mais, à l’époque, on disait « weapon knife », prononcé « weepin’ knife », d’où vient « wee pen-knife » pour arriver à « little pen-knife. »

Richard Séguin – voix, guitare acousrique, mandoline

Henry Lee

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« Pay Day » de Mississippi John Hurt

Au moment que j’ai entendu John Hurt pour la première fois, il était déjà mort, décédé en 1966 à l’âge de 73 ans. Je l’ai vu vers 1968 sur des rediffusions de la CBC du show américain « Rainbow Quest » de Pete Seeger, qui mettait en vedette plusieurs des artistes roots que le renouveau folk avait mis en évidence. Le jeu de la caméra fournissait des gros plans de la main droite de Mississippi John, où toutes les mouvements compliqués et interconnectés de ses doigts sur les cordes étaient visibles, créant un arrangement complet et harmonieux. Ce fut toute une révélation pour moi et ma vie a changé par conséquence. Avant d’entendre John Hurt, j’étais un gratteux de guitare, commes des milliers d’autres. Après avoir entendu John Hurt, j’ai décidé de devenir un joueur de guitare, comme lui.

Pas une tâche facile, dans les années 1960. Maintenant, plusieures vidéos didactiques qui enseignent des arrangements de n’importe quelle pièce de guitare sont aisément disponibles sur l’internet. Dans le temps, nous avions des livres, plus particulièrement ceux publiés par la Stephan Grossman Guitar Workshop de New York. Je me méfiais d’envoyer un mandat postal de Rockland à New York mais j’ai pris le risque et, quelques semaines plus tard, j’ai reçu mon livret d’instructions par la poste. Les chansons étaient écrites en tablature, une présentation plus illustrée de la notation musicale que je ne connaissais pas du tout! Par contre, tout est entré en ordre avec le temps.

J’ai commencé avec des pièces simples comme « Pay Day. » J’ai appris à créer un motif des notes basses avec mon pouce. Graduellement, j’ai amené les quatre autres doigts de ma main droite en jeu, créant la mélodie, l’harmonie, le contrepoint et le contretemps. En peu de temps, j’ai compris ces éléments essentiels de la composition et j’ai pu les utiliser librement. Ce fut une lesson puissante d’estime de soi, surtout pour un jeune qui s’était toujours perçu comme inepte. Alors, j’ai grandi comme musicien et comme personne, grâce à John Hurt.

J’ai toujours aimé le rythme détendu de « Pay Day », ses paroles amusantes et son esprit enfantin, une caractéristique présente dans beaucoup de la musique de John Hurt. Il était comme un grand-père pour plusieurs, un ami bienveillant avec un sourire et un chapeau feutre, tellement bien-aimé par son jeune public, princilement blanc.

« Pay Day » ne faisait pas partie des enregistrements originaux de John Hurt en 1928 mais son immense popularité durant les années 1960 a menè à des enregistrements supplémentaires. Il a enregistré « Pay Day » en 1965.
Pour un récit détaillé de la vie et du talent artistique de Mississippi John Hurt, cliquer ici.

Richard Séguin – voix et guitare acoustique

Pay Day

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« Just Like Tom Thumb’s Blues » de Bob Dylan

En 1964, Bob Dylan a publié «  The Lonesome Death of Hattie Carroll », qu’il a chanté accompagné seulement d’une guitare acoustique. Les paroles se lisent comme un reportage de journal d’un événement qui a eu lieu le 9 février 1963 à l’Hôtel Emerson, au Maryland, où une servante noire de 51 ans nommée Hattie Carroll fut attaquée avec une canne par un riche client ivre de l’hôtel, William Zantzinger, 24 ans. Carroll est décédée huit heures après l’agression. Par la suite, Zantzinger a été trouvé coupable d’assaut et condamné à passer six mois à la prison du comté, un verdict qui en a exaspéré plusieurs.

En 1965, Bob Dylan a publié « Just Like Tom Thumb’s Blues », qu’il a chanté en jouant une guitare électrique, accompagné par Mike Bloomfield (guitare électrique), Al Kooper (piano électrique), et les musiciens de session Paul Griffin (piano), Harvey Brooks (contrebasse électrique) et Bobby Gregg (batterie). Les paroles décrivent une vision hallucinante de Juarez, au Mexique, où le narrateur rencontre de la pauvreté, de la maladie, du désespoir, de la prostitution, des autorités indifférentes, de l’alcool et des drogues, avant un retour final à la ville de New York. Les paroles font allusion aux œuvres de célèbres auteurs tel Malcolm Lowry, Edgar Allen Poe, Jack Keruac et Arthur Rimbaud.

Alors, que c’est-il passé? Comment a Dylan pu changer si complètement en une seule année?

Bien sûr, nous pouvons passer outre des manifestations superficielles du changement, tel les coiffures ou les vêtements. Toutefois, le changement d’instruments acoustiques aux instrments électriques est extraordinaire et a fourni à Dylan plus de couleurs pour sa palette. Les instruments électriques ont pu mieux exprimer les nuances de son nouveau monde en pleine expansion. Il ne chantais plus à propos des politiques corrompantes qui déchiraient et séparaient la société américaine. Par la suite, Dylan chantait à propos du monde entier, avec toute sa magie et toutes ses aberrations.

De mon point de vue, durant sa première période de « manifestations », Dylan chantait de thèmes qui se passaient dans un pays étranger. Si je trouvais sa cause juste (et c’était le cas), j’étais aussi conscient qu’il n’avait rien à faire avec le Canada. À part des exceptions rares comme Thomas D’Arcy McGee (1868), George Brown (1880) et Pierre Laporte (1970), nous n’assassinons pas nos politiciens au Canada. Nos restaurants servent tout le monde, nos motels accueillent toutes personnes et tout le monde peut utiliser les fontaines publiques. Il en a toujours été ainsi, du moins à ma connaissance. Nous ne sommes pas des Américains et, à partir de 1965, les compositions de Dylan ont quitté l’Amérique pour explorer les chemins non-fréquentés.

Alrick Huebener


Après 1965, les paroles de Dylan défient la logique du monde matériel. Il nous a donné des paroles inoubliables comme :

Yonder stands your orphan with his gun
Crying like a fire in the sun

ou des tournures incroyablement romantiques, tel :

The ghost of electricity howls in the bones of her face

Disparus sont les mots ordinaires exprimant la bigoterie et la haine. Ici était un poète qui tentait de décrire l’ineffable. Les paroles de « Just Like Tom Thumb’s Blues » ont occasionné beaucoup de confusion pour plusieurs gens, en commençant par le titre. Tom Thumb n’est pas mentionné dans les paroles et plusieurs pensent que la référence nous vient de Ma Bohème, d’Arthur Rimbaud, où il se compare au petit poucet qui observe les étoiles. Je crois plutôt que la logique se trouve dans la publication originale intitulée The History of Tom Thumb. Initialement destinée aux adultes, l’histoire fut modifiée au cours des années et reléguée aux pouponnières au milieu du 19e siècle. Publiée en 1621, c’est la première fable qui fut imprimée en anglais. À l’ère du roi Arthur, on y raconte l’histoire de Thomas of the Mountain, qui veut tellement un fils, même s’il n’est que de la hauteur de son pouce. Il envoie sa femme pour consulter Merlin le magicien et, trois mois plus tard, elle donne naissance au diminutif Tom Thumb. Plusieurs aventures bizarres surviennent à notre petit héros – il tombe dans une pâte et est cuit dans un pudding de Noël mais s’échape en mangeant le pudding! Tom se fait avaler (et excréter) par une vache, emporter par un corbeau et avaler à nouveau par un géant et un poisson. Je crois plutôt que Dylan fait une analogie entre ces épreuves fantastiques de Tom Thumb et la situation déprimante révélée dans les paroles de la chanson.

Roch Tassé


Vers la fin de mon arrangement, je fais un clin d’oeil aux Beatles en faisant une allusion musicale à leur composition, « I’ve Just Seen A Face. » Je dois aussi reconnaître les contributions inspirées d’Alrick et Roch, deux des meilleurs musiciens de notre région.

Richard Séguin – voix, guitares acoustiques à 6 et à 12 cordes
Alrick Huebener – contrebasse
Roch Tassé – batterie

Just Like Tom Thumb’s Blues

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« Police Dog Blues » d’Arthur « Blind » Blake

Vers le milieu des années 1920, les ventes solides et inattendues des 78 tours de Blind Lemon Jefferson, enregistrés pour Paramount Records, ont causé une ruée à travers le sud des États Unis afin de signer d’autres artistes du blues. Une de leurs meilleures trouvailles fut Arthur « Blind » Blake (1896-1934), un guitariste sophistiqué dont la voix chaleureuse et relaxe ajoutaient à son charme. Aujourd’hui, l’homme à la guitare « qui sonne comme un piano » est toujours considéré le maître du fingerpicking ragtime et blues à la guitare. Quelque-unes de ses chansons surlignent des phrases boogie-woogie qu’il a dû emprunter de ses contemporains tel le superbe Meade Lux Lewis, un maître du piano boogie-woogie. Certainement, aucun autre guitariste jouait de cette façon à cette époque.

Nous en savons très peu sur Arthur Blake. Il est né aveugle et son vrai nom était parfois en question – il fut simplement connu comme Blind Blake toute sa vie. La seule photo survivante de lui est un tirage publicitaire de Paramount Records, sa compagnie d’enregistrement à vie. Elle nous montre Blake assis les jambes croisées, habillé dans son meilleur complet et jouant une petite guitare de salon. Dans une décision des plus insensibles que j’ai connu, Paramount a inscrit une dédicace au bas de la photo disant « Cordially Yours, Blind Blake », dans une écriture de fantaisie. Tout le monde peut voir sur la photo que ses yeux sont enfoncés, qu’il est aveugle et donc incapable d’écrire. Un autre exemple du mépris flagrant envers les artistes noirs de cette époque.

Arthur Blake a enregistré pendant six ans, de 1926 à 1932, toujours avec Paramount Records. Durant ce temps, il était très populaire et a enregistré quelque 80 pièces en solo et, comme guitariste invité, sur plusieurs autres pièces de Leola Wilson, Ma Rainey, Bertha Henderson, Chocolate Brown, et plusieurs autres. Il était le guitariste le plus doué de son époque, possédait une voix puissante et était à l’aise avec le ragtime, les chansons populaires et le blues.

La publicité de Paramount dans le Chicago Defender, un journal Afro-américain populaire, souligne le style de guitare de Blake, souvent comparé à un piano à cause de sa dextérité remarquable sur l’instrument. De toutes ses pièces, « Police Dog Blues », enregistrée en 1929, est ma préférée. La chanson est non seulement un exemple classique du jeu sophistiqué de Blake à la guitare, mais met aussi en vedette un vocal plein de vie. La pièce est pleine d’humour et encore, elle peint une image dure de la vie d’un musicien itinérant pendant les années entre-guerres.

Étant aveugle, Arthur Blake a connu une vie plus difficile que d’autres. Dans une époque de ségrégation sévère, les Noirs ne pouvaient pas dormir dans les mêmes maisons d’hébergement, manger dans les mêmes restraurants, même pas boire de la même fontaine que les Blancs. Le « Green Book » (publié après la mort de Blake) n’existait pas pour aider les Noirs à choisir des hébergements accueillants. Dans « Police Dog Blues », Blake parle de voyager, de rester seul, de faire des modalités d’expédition pour que sa malle le suive partout où il jouait. Pour un homme noir et aveugle, une proie facile pour les bandits, c’était une vie dure et tu ne pouvais faire que de ton mieux.

En 1932, Paramount Records fut victime de la Grande Dépression, faisant faillite. Blake n’a pas enregistré par après et sa mort a suivi en 1934. Les détails de sa vie et de sa mort s’éloignaient de plus en plus. Le revérend Gary Davis croyait qu’il était tombé sous un tram, un destin plausible pour un aveugle. Ce n’est qu’en 2011 que des faits on fait surface lorsqu’un groupe de chercheurs, mené par Alex van der Tuuk, a publié des documents sur sa vie et sa mort dans la revue « Blues and Rhythm. »

Travaillant à partir d’une nécrologie publiée dans le Chicago Defender, ils ont cherché dans la région de Milwaukee et trouvé une partie éloignée du cimetière Glen Oaks où Blake reposait, la tombe perdue dans un buisson décoré de déchets et d’un drapeau américain. D’après le certificat de décès que le groupe a trouvé, nous savons qu’Arthur Blake est né à Newport News, en Virginie, et a épousé Beatrice McGee en 1931. Ceci m’est très récomfortant – Blake avait finalement quelqu’un avec qui il pouvait partager son monde sombre et solitaire. Il a sans doute senti diminuer le poids de sur ses épaules.

En avril 1933, Blake fut hospitalisé pour une pneumonie et il n’a jamais entièrement récupéré. Le 1er décembre 1934, après trois semaines de régression, Beatrice a appelé une ambulance. Il est mort en se rendant à l’hôpital, la cause du décès listée comme une tuberculose pulmonaire. Blake avait 38 ans. Il fut enterré au cimetière Glen Oaks à Glendale, au Wisconsin, dans une tombe précédemment sans inscription. L’enterrement fut payé par le comté alors que l’artiste populaire entendu et apprécié par plusieurs n’a jamais été payé convenablement pour ses efforts, comme bien d’autres. Grâce au travail acharrné de van der Tuuk et ses chercheurs, Arthur Blake a maintenant une pierre tombale convenable, tout comme son épouse Beatrice.

Ma guitare Taylor 30e anniversaire

En 2004, pour commémorer trente ans de fabrication de guitares, la compagnie Taylor a introduit une parution limitée d’une guitare Grand Concert mettant en vedette une tête de cheville classique, des incrustations de nacre et d’or 18k, les meilleurs bois et la fine pointe des techniques de construction. La guitare a une apparence ancienne, avant 1930, que je recherche depuis que j’ai vu la superbe guitare Martin 1928 de Jimmie Rodgers. Pas étonnant qu’une de ces beautés rares se retrouve dans la superbe collection de Pépé (Pierre Pinard), un ami de longue date. Après des pourparlers relaxes, cette guitare fait maintenant partie de ma collection. Je m’en suis servi pour mon enregistrement de « Police Dog Blues » et elle sera dorénavant ma guitare de choix.

Richard Séguin – voix et guitare acoustique

Police Dog Blues

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« That’s No Way To Get Along » par le revérend Robert Wilkins

Robert Wilkins (1896 – 1987) était un guitariste et chanteur américain de blues country, le fils d’un père Afro-américain et d’une mère blanche et Cherokee. Il est né à Hernando, au Mississippi, au centre de l’industrie du cotton. Il se souvient d’avoir fait le trajet de 22 miles de Hernando à Memphis quand il était garçon. « On conduisait un wagon ou un chariot à Memphis » disait-il. « Je transportait cinq balles de cotton par équipe de deux mules jusqu’à l’hangar à cotton. Par la suite, je ramassais une cargaison pour ramener au magasin de marchandise. »

Lorsque Wilkins était très jeune, son père fut obligé de fuire le Mississippi afin d’éviter des poursuites pour du bootlegging. Sa mère s’est remariée à un très bon guitariste qui a appris à jouer à Robert. Après son service dans le Première Guerre mondiale, Wilkins a joué sur le même circuit que Furry Lewis, Memphis Minnie et Son House. Il a aussi formé un jug band pour tirer avantage de la folie pour les jug bands alors en vogue. Comme plusieurs de ses contemporains, il jouait pour des publics très différents à travers le Sud et devait être polyvalant pour gagner son pain. Donc, il jouait du ragtime, du blues, des chansons de ménestrel et du gospel, tous avec aise et dextérité. Il a enregistré quatre pièces pour la compagnie Victor en 1928 et huit pièces pour la compagnie Brunswick l’année suivante, y compris « That’s No Way To Get Along. » Grâce à son talent remarquable à la guitare, Wilkins a aussi joué sur un bon nombre d’enregistrements d’autres artistes, tel Will Shade, le fondateur du Memphis Jug Band et un des architectes de ce qui serait connu comme le Son de Memphis.

En 1935, Wilkins a enregistré cinq autres pièces pour la compagnie Vocalion mais les ventes chutaient pendant la Grande Dépression et il s’est rendu à l’évidence. En 1936, il a été témoin d’un meutre à un de ses concerts et il a commencé à douter de son choix de carrière. À la même époque, son épouse est devenue gravement malade et Wilkins, un homme religieux, a offert sa vie à Dieu en échange pour la vie de son épouse. Elle a guéri et, fidèle à sa parole, Wilkins est devenu membre du Church of God in Christ, devenant un ministre ordonné en 1950. Reconnu pour ses remèdes à base de plantes et ses guérisons, il n’a jamais délaissé la guitare, bien qu’abandonnant le blues pour des pièces gospel plus convenables. Par contre, il jouait toujours ses arrangements de blues comme des pièces instrumentales. À l’occasion, il ajoutait des paroles religieuses à ses vieilles pièces pour créer des « nouvelles » chansons, ce qu’il a fait avec « That’s No Way To Get Along. » Les nouvelles paroles étaient basées sur la parabole du Christ aux Pharisiens à propos de l’enfant prodigue, la troisième et dernière parabole qui forme un cercle de rédemption dans la Bible. Renommée « Prodigal Son », il a enregistré la pièce pour la compagnie Piedmont en 1964. Les Rolling Stones ont par la suite fameusement repris « Prodigal Son » sur leur album « Beggars Banquet » en 1968.

Le revérend Robert Wilkins a été redécouvert au début des années 1960, comme plusieurs des bluesmen de son époque qui avaient créé la musique roots à ses débuts. On l’a convaincu d’enregistrer un disque de chansons religieuses mais il n’a jamais joué du blues de nouveau. Il est fort probable que « That’s No Way To Get Along », une des meilleurs pièces de blues que j’ai entendue, aurait été perdue et oubliée si ce n’est de la détermination de certains artistes contemporains à préserver la musique d’antan. Je dois mentionner le travail de Valerie et Ben Turner, un couple marié qui joue le blues du style Piedmont avec beaucoup d’aplomb et de vie. Le Piedmont, une traduction litérale de « foothill », est un plateau de l’est des États-Unis situé entre la côte Atlantique et les montagnes Appalaches. Aussi, Guy Davis est un artiste important dont la voix et la guitare font beaucoup pour rajeunir le blues qui était. Davis est le fils de Ruby Dee (1922-1914) et « Ossie » Davis (1917-2005). Les deux furent de célèbres acteurs, poètes, dramaturges, scénaristes, journalistes et militants des droix civiques.

Le revérend Robert Wilkins est décédé à Memphis à l’âge de 91 ans. Son fils, le revérend John Wilkins, continue l’héritage du gospel de son père.

Richard Séguin – voix, guitare acoustique
Roch Tassé – shaker

That’s No Way To Get Along

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« Maggie’s Farm » de Bob Dylan

En 1965, Dylan a entamé sa performance monumentale et controversée au festival Folk de Newport avec « Maggie’s Farm », une pièce tirée de son récent album, « Bringing It All Back Home. » C’était la première fois qu’il se présentait sur scène avec un orchestre électrique, bien au délire de la foule. Pour en savoir plus sur cette époque et les changements profonds qui se manifestaient chez Dylan, cliquez ici.

De gauche à droite sur la photo, Mike Bloomfield, Sam Lay et Jerome Arnold provenaient tous du Paul Butterfield Blues Band. Al Kooper, à droite de Dylan, avait remplacé Barry Goldberg à l’orgue durant l’enregistrement studio de « Like a Rolling Stone. » J’étais le plus gros fan de cette nouvelle musique électrique de Dylan et « Maggie’s Farm » était, et est encore, à l’apogée de mes préférés. Par contre, en 1965, je ne savais pas que « Maggie’s Farm » allait s’accaparer une place spéciale dans ma vie.

Vers la fin de mon adolescence, j’avais décidé que je voulais être un homme instruit. J’avais deux amis, André « Red » Henri et Jean-Pierre Béland, qui étaient instruits et ils parlaient tous deux comme un oiseau chante – vocabulaire étendu, le verbe facile, j’aurais pu les écouter parler toute la journée. Alors, le secondaire fini j’ai visé l’université, question de m’instruire. Mais il y avait des problèmes. L’université était à Ottawa et moi, à Rockland. Je n’avais pas d’auto, pas d’argent et mes parents ne pouvaient pas se permettre de payer pour mes études. Dans ma tête, ma vie entière dépendait d’une éducation réussie alors j’ai emprunté de l’argent de la banque et j’ai pris l’autobus pour Ottawa à chaque matin, revenant chez-nous à chaque soir.

Une de mes nouvelles classes finissait à 11 h du soir et il n’y avait pas de service d’autobus à cette heure. J’ai tenté de changer l’heure de ce cours mais c’était 1968-69 et les étudiants se prenaient tous pour des « hippies » ultra-cool – ils avaient occupé la bâtisse de l’administration et manifestaient contre la guerre, contre les lois, contre tout sauf le pot. L’administration de l’université communiquait avec les étudiants en agrafant des mémos aux poteux de téléphone pour nous aviser où on pouvait les rejoindre de jour en jour. Le problème était que ce n’était pas dans mes habitudes de lire les affiches publiques. J’ai perdu le sentier de mes classes, déjà mal dessiné.

Dans ces classes, les professeurs étaient désintéressés et le curriculum était une course pour eux – ils voulaient tous finir le plus vite possible. Si je demandais une question, on me répondait poliment que la question était intéressante mais que nous n’avions pas le temps de se pencher là dessus. Complètement désabusé, j’ai parlé à Jean-Pierre dans la cafétéria – Jean-Pierre finissait sa dernière année et moi je commençais ma première. Pas pour la dernière fois, mon ami m’a donné son support et m’a fait comprendre que je pouvais m’instruire de moi-même (on lisait des livres à cette époque) et peut-être même davantage que par les méthodes organisées par la province. J’ai quitté l’université en février 1969, une faillite complète, à mes propres yeux.

Je m’en voudrais de ne pas mentionner qu’Alrick et Roch, mes acolytes musicaux, ont tous deux réussis leurs études universitaires. Alrick est allé au collège Eastern Washington State, retournant chez lui à Cranbrook en Colombie-Britannique pour travailler en construction durant les étés. Comme moi, il s’ennuiyait, ne se sentait pas prêt et a quitté après son premier semestre. Mal adapté aux emplois dans les secteurs d’exploitation minière, de construction et de foresterie disponibles aux jeunes sans instruction, Alrick est retourné à l’école et les sciences sociales, obtenant un diplôme en psychologie. Après trois ans à Vancouver, Alrick a étudié le journalisme à l’université Carleton et a obtenu sa maîtrise en 1984, le seul de sa famille immédiate à ce faire. Roch, aussi de Rockland et un bon ami depuis le secondaire, était dans le même pétrin que moi. Sa mère a élevé Roch et sa soeur d’elle-même et n’avais pas d’argent pour les frais de scolarité. Comme moi, Roch a emprunté de l’argent de la banque et a fait la navette par autobus de Rockland à l’université d’Ottawa. Contrairement à moi, Roch a persévér pendant trois longues années pour décrocher son baccalauréat en science politique.

J’ai commencé à travailler en septembre mais les ados sans diplôme n’ont pas les meilleurs jobs. Je travaillais à trier et liver le courrier dans une salle au sous-sol de l’édifice Sir John Carling, qui n’existe plus mais qui était occupée par le ministère de l’Agriculture à cette époque et qui faisait partie de la Ferme expérimentale centrale d’Ottawa. Pour me rendre au bureau, je voyageais avec M. Fernand Laporte et M. Ovila Diotte de Rockland, tous deux élégants dans leurs cols et complets, moi, un peu moins. M. Laporte, aussi un homme très instruit, était le meilleur siffleur que j’ai rencontré de ma vie. Roger Whittaker aurait eu honte. M. Laporte se laissait emporter par la musique classique qu’on écoutait à la radio et il sifflait à cœur joie. C’était comme voyager avec un oiseau et, avec beaucoup de pratique, j’ai appris à bien siffler, grâce à M. Laporte.

Le travail était ennuyeux mais j’avais trois amis dans la salle de courrier. Jim, un anglophone très intelligent et un peu plus vieux que moi, avait anticipé le genre « goth » par plusieurs années. C’était pour moi un autre monde – on ne connaissait pas les goths à Rockland. Jim était grand, portait un grand manteau noir jusqu’aux chevilles, ses jeans et son t-shirt étaient noirs, il portait des bottes d’armée noires et même ses longs cheveux étaient teints noirs. Son groupe préféré était les Rolling Stones et il vivait pour la négativité profonde de leurs paroles, tel « Heart of Stone », « Under My Thumb » et « (I Can’t Get No) Satisfaction. » Jim ressemblait même à Jagger!

Mon deuxième ami, Marcel, était un gars des rues de Hull, peut-être 6 ans plus vieux que moi. Un gars malmené par la nature – il était maigre avec un nez en crochet, les cheveux courts et indisciplinés, et il ne lui restait que quelques dents, toutes pourries! Marcel était un romantique et me parlais continuellement de sa blonde. Il a vite vu que j’étais un naïf de la campagne et il est devenu en sorte mon protecteur, presqu’un grand frère. Surtout, Marcel m’a masqué d’un des fonctionnaires au troisième étage, un prédateur homosexuel très vulgaire avec une affinité pour les jeunes francophones. Marcel l’a convaincu que je ne parlais ni ne comprenais le français, ce qui ne l’empêchais pas de me tourmenter verbalement davantage, pensant que je ne comprenais pas ce qu’il disait. Marcel s’est alors chargé de livrer le courrier de ce monstre à ma place. Un ami comme peu d’autres, Marcel.

Mon troisième ami se nommait Doug mais tout le monde le connaissais comme Dougie, un grand homme d’une trentaine d’années que les gens pensaient arriéré mais je le voyais plutôt comme un homme simple, pas comfortable avec les interactions compliquées que les gens jonglaient entre eux-mêmes. Il demeurait avec sa mère, qu’il aimait beaucoup, et il avait quelque chose que personne des autres travailleurs n’avait – de l’enthousiasme. Dougie pouvait trier et livrer le courrier comme personne. Il était bon dans son métier, fier de lui-même et il était heureux, répandant sa joie sur tous les étages de la bâtisse. Tout le monde aimait Dougie. Enfin, tout le monde aimait Dougie sauf une personne – le patron de la salle de courrier.

Alrick Huebener

C’était un type ex-armée, épais du torse et épais de la tête, toujours en colère, sans doute frustré par sa vie ignoble. Il blâmait tout sur Dougie parce que Dougie ne rouspétait jamais. Dougie regardait tout simplement le plancher honteusement, ne comprenant pas ce qu’il avait fait de mal. J’ai commencé à haïr mon patron plus que je haïssait Hitler et j’ai voulu le blesser comme il blessait Dougie. Alors j’ai attendu au temps le plus occupé de l’année, deux semaines avant Noël, et je suis entré dans son bureau pour lui annoncer qu’un imprévu m’obligeait de quitter à l’instant, le laissant à court d’un homme. Il était furieux, très déçu de moi mais je souriais en quittant la salle de courrier.

Roch Tassé

De retour à Rockland, je me sentais comme une faillite complète mais j’avais dix-neuf ans. Les dix-neuf ans ne restent pas maussade longtemps. Ils ont des mécanismes de soutien, plusieurs en fait. Dans ma tête, la ferme expérimentale ressemblait à « Maggie’s Farm » – une place où l’est est situé à l’ouest et où tout ce qui est bas se trouve aux étages supérieurs. Je m’enfermais dans ma chambre et je bûchais sur ma guitare, chantant à tue – tête la délicieuse tirade de Dylan : « I ain’t gonna work on Maggie’s farm no more! » C’était de la musique comme libération émotionnelle. Témoin de ces cris et ces hurlements provenant de ma chambre, ma pauvre mère, pas pour la première fois ni pour la dernière, pensais sûrement que j’étais finalement devenu fou.
 
Richard Séguin – guitares électriques, voix
Alrick Huebener – contrebasse acoustique
Roch Tassé – batterie
 
Maggie’s Farm

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La courte et triste vie de Bix Beiderbecke

Aux États-Unis, les années 1920 sont connues comme « les années folles » mais qu’est-ce qui affolait les gens à l’époque? La fin de la première Grande Guerre? J’en doute. Les Américains n’ont participé aux combats que durant la dernière année de la guerre. Les deux choses qui affolaient les Américains durant les 1920 étaient l’alcool et le jazz.

La prohibition aux É.U. (de 1920 à 1933) a interdit la fabrication, le transport, la vente, l’importation et l’exportation de boissons alcoolisées. Ceci a mené à la contrebande (bootlegging) et les boîtes de nuit (speakeasies) où le jazz et les danses démentes de l’époque ont prospéré. La prohibition a aussi mené au crime organisé et aux bandits comme Al Capone et Dutch Schultz mais ça c’est une histoire pour un autre jour.

Le jazz est une institution entièrement américaine qui a pris naissance à la Nouvelle-Orléans, en Louisiane. Pour la plupart, les artistes du jazz étaient Afro-américains, tels « Jelly Roll » Morton (Ferdinand LaMothe), Duke Ellington et Louis Armstrong. La plupart des artistes oeuvraient dans les grands centres urbains de Chicago et New York mais il y avait des exceptions. Une exception toute sa vie, Leon Bismark « Bix » Beiderbecke, né en 1903 à Davenport, au Iowa, était le plus jeune de trois enfants d’un émigrant allemand. Beiderbecke père était un riche marchand en charbon et en bois souvent absent de la maison et très autoritaire quand il y était. Par conséquent, Bix n’a jamais pu être près de son père et ce manque l’a déchiré toute sa vie.

À un très jeune âge, sa mère a encouragé son intérêt pour le piano et Bix a développé une affinité pour la musique du compositeur français Claude Debussy. Quand il avait 7 ans, les journaux de Davenport parlaient avec enthousiasme de sa remarquable oreille pour la musique, jouant au piano n’importe quel air qu’il entendait, en dépit de son manque de formation. Bix s’est dirigé vers le jazz en entendant la collection de disques de son frère aîné Burnie, surtout les pièces du Original Dixieland Jazz Band, un groupe racialement intégré de la Nouvelle Orléans qui a lancé le premier enregistrement de jazz en 1917, « Livery Stable Blues. » Cette pièce géniale, où les instruments imitent les sons d’animaux de basse-cour, a connu un énorme succès national à l’époque. Bix écoutait aussi le jazz qu’on entendait des bateaux de rivière qui descendaient la rivière Mississippi jusqu’à Davenport.

À l’école, les choses allaient moins bien. Bix avait une aversion pour l’enseignement sous toutes ses formes. On connaissait peu des troubles d’apprentissage à l’époque et son manque de succès scolaire était vu comme une déficience. Les choses ont empiré en 1912 quand Bix, atteint de la scarlatine, a dû répéter une année. De plus en plus, l’enfant se sentait aliéné.

Au secondaire, Bix jouait avec plusieurs orchestres sur un vieux cornet poqué, un don d’une voisine. En plus de sa passion pour le jazz, c’était l’ère de la prohibition et Bix a commencé à boire mais il ne pouvait pas modérer sa consommation. Ses absences s’accumulaient et ses notes plongeaient. Tous les hommes abusent de l’alcool pour la même raison – ils sont pris dans une situation intolérable et ils veulent à tout prix être ailleurs. L’alcool est facile à obtenir, peu dispendieux et très efficace à emporter les gens ailleurs.

Bix fut justement pris dans une situation intolérable en 1921 quand deux hommes l’ont vu amener une fillette de cinq ans dans un garage. De toute évidence, aucun méfait ne s’est produit mais Bix fut arrêté par la police et des accusations furent déposées. Les deux familles impliquées et la police ont décidé d’effacer tous les registres de l’incident mais le père de Bix était furieux, comme il l’était souvent, et a expédié son fils à Lake Forest, une académie militaire près de Chicago. C’étais comme donner un briquet à un pyromane. Bix s’est vite dirigé vers les clubs de Chicago, avec le jazz, la boisson et les gangsters. Il fumait constamment, victime d’une angoisse continue.

À Chicago, accompagné de son bon ami le compositeur Hoagy Carmichael, auteur des chefs-d’oeuvre « Stardust » et « Georgia On My Mind », entre autres, Bix a finalement entendu une de ses idoles jouer dans l’orchestre de King Oliver – Louis Armstrong, qui deviendrait un des plus grands artistes du 20e siècle. Durant une excursion à New York, Bix a aussi rencontré Nick LaRocca, le joueur de cornet du Original Dixieland Jazz Band dont les enregistrements avaient inspiré Bix à jouer le cornet. Bix a lui même joué dans plusieurs orchestres durant son séjour à Lake Forest mais la seule classe qu’il n’échouait pas était la musique et, même là, il n’était pas intéressé à apprendre les formalités de cette discipline, il voulait tout simplement jouer. Bix a cessé d’assister aux classes et il fut expulsé de Lake Forest en 1922.

Bix s’est ensuite joint à un orchestre qui jouait au Stockton Club, dans la région de Cincinnati. L’orchestre était reconnu pour sa version de « Wolverine Blues », une composition de Jelly Roll Morton, et fut connu comme le Wolverine Orchestra, le premier orchestre formé entièrement de musiciens blancs qui ne venaient pas de la Nouvelle-Orléans. À la veille du jour de l’an 1923, deux gangs se sont croisés dans une querelle sanglante au Stockton Club. La police s’en est mêlé et le Stockton Club a du fermer ses portes. Sans travail, Bix a joué avec des orchestres dirigés par Jean Goldkette, Frankie Trumbaur et Paul Whiteman. Ses meilleurs enregistrements datent de cette époque.

Les enregistrements originaux de Bix Beiderbecke sont un trésor, une partie précieuse de ma collection, un puits où l’eau fraîche peur être revisitée indéfiniment. Pour commencer par une de ses propres compositions, voici « Davenport Blues », dédiée, bien sûr, à sa ville natale et enregistrée en 1924 sous le nom de Bix And His Rhythm Jugglers. Le processus acoustique d’enregistrement était encore utilisé à l’époque, où un énorme cornet amplifiait le son de l’orchestre pour faire vibrer l’aiguille qui gravait un disque de cire. Cette méthode fut remplacée en 1925 par encore une autre nouvelle invention, le microphone. Les mélodies joyeuses de la pièce ne laissent pas deviner le tracas intérieur du compositeur.

Davenport Blues, Bix And His Rhythm Jugglers, 1924

La performance de Bix sur « Singin’ The Blues », une composition de J. Russell Robinson, Con Conrad, Sam M. Lewis et Joe Young enregistré en 1927 sous le nom de Frankie Trumbauer And His Orchestra, est certainement une de ses plus célèbres. Son ton et son imagination sont en pleine floraison. La partie de guitare est jouée par le grand Eddie Lang, le père de la guitare jazz. En 1977, cet enregistrement fut intronisé au panthéon du Grammy.

Singin’ The Blues, Frankie Trumbauer And His Orchestra, 1927

« In A Mist », une autre composition de Bix, est la seule pièce lancée sous son propre nom et le seul solo de piano qu’il a enregistré, en 1927. C’est une pièce unique dans tout le jazz de cette époque. En effet, on doit attendre l’arrivée de Thelonious Monk, 20 ans plus tard, avant d’entendre à nouveau ces accords dissonants et ces structures chromatiques.

In A Mist, Bix Beiderbecke, 1927

Le style de Bix, concis mais chargé d’émotions, a fait de lui une célébrité, connue davantage en Europe qu’aux États-Unis. Eddie Condon, un guitariste qui a joué un rôle important dans le développement du jazz à New York, a dit que le cornet de Bix « sonnait comme une fille qui dit oui. »

L’horaire chargé de Paul Whiteman, en concerts et en enregistrements, a exacerbé l’alcoolisme de Bix. En 1928, durant une tournée à Cleveland, il a éprouvé une sérieuse dépression nerveuse. Il a dû retourner à Davenport pour récupérer. Un examen complet à l’Institut Keely à Dwight, en Illinois, a confirmé les effets néfastes de son alcoolisme. Son foie était gonflé et une inflammation des nerfs compliquait sa condition.

1929 est vite venu et tous les musiciens se sont trouvés sans travail suite à la Grande Dépression. Malheureusement, Bix ne vivait que pour la musique et il perdait donc sa seule raison de vivre. Sur son dernier enregistrement à New York en 1930, Bix a joué avec son ami Hoagy Carmichael, qui chantait pour la première fois sa nouvelle composition, « Georgia On My Mind. » En 2014, cet enregistrement fut intronisé au panthéon du Grammy.

Bix s’est retrouvé a New York et a loué un petit appartement dans le quartier Queens. Il a fermé la porte et il a commencé à boire sans cesse. Dans la soirée du 6 août 1931, des cris hystériques émanaient de l’appartement de Bix et son agent de location a entré chez lui pour constater ses tremblements incontrôlables. Il criait que deux Mexicains avec de longs couteaux se cachaient sous son lit. Pour le calmer, l’agent de location a regardé sous le lit et se levait pour assurer Bix qu’il en était rien quand Bix a trébuché et lui est tombé dans les bras. Un docteur d’un appartement avoisinant fut appelé mais Bix était déjà mort. Il avait 28 ans. Sa mère et son frère ont pris le train pour New York et ont fait les arrangements pour le retour du corps à sa ville natale, où il repose au cimetière Oakdale.

On en sait peu sur les amours de Bix. Les musiciens alcooliques sans contrôle n’étaient pas recherchés par les jeunes femmes qui voulaient une liaison stable. Le roman de 1938 « Young Man With A Horn », de Dorothy Baker, est vaguement basé sur la vie de Bix. Le roman est aussi la base du film de 1950 du même nom, dirigé par Michael Curtiz et mettant en vedette Kirk Douglas, Lauren Bacall et Doris Day. Une planète mineure, l’astéroïde 23457, est nommée Beiderbecke, en son honneur.

La maison Beiderbecke est maintenant un gîte pour touristes. Durant les rénovations, on a trouvé au grenier un tas de disques 78 tours, tous adressés à Beiderbecke père de son fils Bix, qui a cherché toute sa vie pour l’approbation de son père. Les disques, quelques 200 titres, étaient encore dans leurs cartons. Personne ne les avait ouverts. Personne ne les avait écoutés.

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« Like a Rolling Stone » de Bob Dylan

J’étais un enfant très heureux. J’ai grandi dans une grande famille stable, dans un milieu rural, jouant dehors avec plein d’amis. J’ai réussi à endurer la perte de mes grand-parents et même de mon frère Gabriel, tant bien que mal. Par contre, à partir de la Crise des missiles cubains en octobre 1962, je n’ai pas si bien enduré l’existence de dirigeants politiques étrangers qui menaçaient la survie de tout sur cette planète. J’ai commencé à haïr ces gens inconnus qui interféraient avec ma vie parfaite, comme s’ils avaient la permission de decider du sort des autres. Je ne voulais pas cette vie et, pour la première fois, j’étais malheureux. Et les choses ont empiré.

Je commençais mon secondaire quand Oswald a tué Kennedy. Ruby a tué Oswald et il est mort par après d’une embolie pulmonaire à l’hôpital Parkland de Dallas, la même place où Kennedy et Oswald sont morts. Ensuite, James Earl Ray a tué Martin Luther King Jr. et Sirhan Sirhan a tué Bobby Kennedy, les deux en 1968. J’étais (et je suis toujours) conscient que je vivais à côté d’une nation de barbares. Toute nation où les citoyens peuvent légalement porter des armes est, par définition, une nation de barbares. Je remercie la providence qu’elle n’a pas tué son plus sévère critique, un homme qui a vécu assez longtemps pour faire une vraie différence – Bob Dylan.

Je suivais Bob Dylan parce qu’il parlait de tout ce qui me rendait anxieux. En 1962, « Blowin’ in the Wind » est devenu l’hymne du Mouvement des droits civiques. En 1963, le raciste Byron De La Beckwith a assassiné Medgar Evars, un militant Afro-américain des droits civiques. En réponse, Dylan a chanté « Only a Pawn in Their Game » à la Marche de la liberté sur Washington, où Martin Luther King Jr. a prononcé son fameux discours « I have a dream. » Toujours en 1963, Dylan a publié « A Hard Rain’s A-Gonna Fall », un avertissement sinistre à propos de l’escalade de la course aux armements. La violence et les manifestations étaient partout en 1964 quand il a publié l’album « The Times They Are A-Changin’ », un euphémisme évident.

Dylan n’a jamais cherché la célébrité et l’adulation qui l’encerclaient chaque heure de chaque jour. Une génération entière de jeunes gens éduqués s’attendait qu’il soit le sauveur de leur existence troublée mais Dylan a toujours été un outsider. Tandis que l’industrie complète de la musique, de The Byrds à Mitch Miller, de Harry Belafonte à Duke Ellington, voulait un morceau de Dylan en enregistrant des centaines de versions de ses pièces, il progressait dans une direction différente, sa musique en marche graduellement vers un son blues intensifié par l’addition d’instruments électriques. Tout a commencé avec « Bringing It All Back Home », un album publié au début de 1965 qui mélangeait ses superbes compositions acoustiques avec quelques pièces électriques qui annonçaient un nouveau Dylan, un parolier exceptionnel dont la conscience semblait être en explosion.

Dylan est revenu d’une tournée épuisante de l’Angleterre (voir « Don’t Look Back » (1965), le documentaire de D.A. Pennebaker) et est entré en studio en juin 1965 pour enregistrer « Like a Rolling Stone. » La pièce a traversé des tempos différents, plusieurs pages de paroles, une signature rhythmique d’essai de ¾ et un bon nombre de musiciens, les plus célèbres étant Mike Bloomfield et Al Kooper. Bloomfield, le guitariste puissant de la Paul Butterfield Blues Band que Dylan a qualifié de meilleur guitariste qu’il avait entendu, fut un choix facile. Al Kooper, un guitariste de 21 ans fut invité à participer par le producteur Tom Wilson. Quand Kooper a entendu Bloomfield jouer, il a remis sa guitare dans son étui et déménagé à la chambre de contrôle! Lorsque Wilson a changé un musicien de l’orgue au piano, Kooper a truqué Wilson à croire qu’il avait la partition d’orgue parfaite pour cette chanson. Wilson s’est moqué de lui mais n’a pas dit non et quand Dylan l’a entendu jouer, il a dit à Wilson d’augmenter le volume de l’orgue. Wilson a protesté, disant que Kooper ne savait pas jouer l’orgue mais Dylan a gagné et la partition d’orgue la plus célèbre de la décennie fut née.

Suite aux inquiétudes des départements de ventes et de commercialisation à propos de la longueur sans précédent de 6 minutes pour la pièce et le son rock bruyant, Columbia Records a initialement rejeté « Like a Rolling Stone. » Un acétate superflu de la chanson s’est trouvé dans une disco de New York, où les demandes de la foule l’ont vite complètement usé. Le 20 juillet 1965, « Like a Rolling Stone » fut publié sur la face A d’un single avec le bijou acoustique « Gates of Eden » sur la face B.

Alrick Huebener

D’après Acclaimed Music, un agrégateur de critiques, « Like a Rolling Stone » est la chanson la plus acclamée de tous les temps, statistiquement. Le magazine Rolling Stone la place première dans leur liste des 500 meilleures chansons de tous les temps. En 2014, le manuscrit original des paroles de la chanson fut vendu aux enchères pour 2 millions, un record mondial pour un manuscrit de musique populaire. Dans une entrevue sur Radio Canada Montréal, Dylan a dit que la création de la pièce fut une percée, qu’elle avait changé sa perception de la direction de sa carrière.

J’avais 15 ans quand j’ai entendu « Like a Rolling Stone » pour la première fois. Je marchais dans la cafétéria à l’école, une radio jouant à l’arrière, quand le premier coup de snare, que Bruce Springsteen a décrit comme « le son de quelqu’un qui donne un coup de pied dans la porte de ton esprit », a sonné, suivi de l’orgue sublime de Al Kooper. J’ai figé sur place et je n’ai pas bougé pendant 6 minutes.

Immédiatement après la parution de « Like a Rolling Stone », Dylan a entamé une tournée sur trois continents. Il fut hué, menacé et pris d’assaut partout où il a joué. Pourquoi? L’orchestre jouait des instruments électriques. La dynamique entre une performance acoustique et une électrique est opposée. Pour un concert acoustique, la direction est vers l’artiste, le public écoute attentivement et il existe un lien personnel avec l’artiste. Rien de cela se perpétue dans une performance électrique. La direction est vers le public, bruyant, agressif et imposant. Dans le cas de Dylan, le lien personnel avec le public a cessé d’exister, ce qui fut perçu comme une trahison.

Roch Tassé

Au Festival Folk de Newport, Pete Seeger a menacé de couper les fils des amplificateurs et Dylan fut hué de l’estrade après trois pièces. On l’a cajolé pour qu’il revienne sur scène, guitare acoustique en main, pour jouer « It’s All Over Now, Baby Blue », un choix prophétique. Au stade de tennis Forest Hills à New York, le public l’a hué et a chargé l’estrade. Cette période démente est parfaitement captée dans le documentaire « No Direction Home » de Martin Scorsese, le titre tiré des paroles de « Like a Rolling Stone. » On démontre clairement que Dylan était devenu un artiste de plus en plus frustré et désespéré face à un public insensible et des médias insensés. Il parle d’en avoir assez et de tout cesser pendant un certain temps. Le hasard a voulu que Dylan n’ait pas à prendre cette décision. De retour à la maison, Dylan a fini un autre chef d’oeuvre avec l’enregistrement de l’album « Blonde On Blonde », mais fut impliqué dans un sérieux accident de motocyclette le 29 juillet 1966. Le mystère embrouille l’incident. Aucun rapport de police ne fut déposé. Dylan ne s’est jamais présenté à un hôpital. Il a passé trois mois dans une chambre au troisième étage chez un docteur de sa connaissance.

Dylan a continué à composer et enregistrer mais sa musique n’a jamais été la même. Différente mais toujours géniale – « All Along the Watchtower », tirée de l’album « John Wesley Harding » en 1967, a fait de Jimi Hendrix un nom très connu. Par contre, Dylan n’est pas retourné en tournée pendant huit ans.

Comme toujours, mes remerciements vont à Roch et Alrick, deux des meilleurs musiciens que j’ai été assez chanceux de connaître.

 

Richard Séguin – voix, guitares acoustiques à 6 et 12 cordes, guitares électriques, guitare MIDI (orgue)
Alrick Huebener – contrebasse
Roch Tassé – batterie

 

Like a Rolling Stone

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« Sliding Delta » de Mississippi John Hurt

La page d’accueil de mon site s’identifie par la phrase « La musique d’hier, revisitée. » J’ai aimé la musique d’hier depuis que j’ai entendu Bert Jansch, dans les années 1960, jouer des mélodies celtiques datant de 300 ans. C’était pour moi une véritable machine à remonter le temps – je pouvais entendre la même chose que le monde entendait il y a 300 ans. Je me sentais comme si j’étais là.

Aujourd’hui, le passé me fascine, tout particulièrement cette musique créée entre les deux grandes guerres, ce moment aux États-Unis où la musique roots a fleuri, avec sa simplicité, sa spiritualité, et son antiquité. La musique roots fait partie de l’histoire et il n’y a pas de plus grand éducateur que l’histoire. À un temps où de plus en plus de personnes abandonnent le contrôle de leur vie à la technologie, l’histoire et ses enseignements semblent encore plus importants que jamais. Comme Edmund Burke a dit au 18e siècle, « Ceux qui ignorent l’histoire sont condamnés à la répéter. »

On a donné des chics noms aux deux décennies entre les guerre mondiales – les années folles et la Grande Dépression. Les années 1920 ont vu des savants et des collectionneurs des États du Nord rechercher des musiciens à enregistrer afin de préserver leurs chansons et leurs styles, les croyant en état de disparition parmi le rythme rapide du changement social, culturel, économique et technologique qui engloutissait l’Amérique. En même temps, les commerces du Nord voyaient l’énorme potentiel pour un profit dans la croissance des ventes de phonographes et de disques. Ces commerces classaient la musique roots selon une ligne colorée – les « disques de race » pour les musiciens noirs et les « disques hillbilly » pour les musiciens blancs – même si cette ligne colorée n’existait même pas chez les musiciens. L’homme doit manger et les musiciens jouaient ce que les gens voulaient entendre. Un bluesman noir se devait de jouer pour une danse dans une grange de campagne ou pour un bar Mitzvah; les musiciens blancs d’un orchestre à cordes se devaient de faire danser la clientèle noire d’un relais routier ignoble.

Puisque les compagnies de disques faisaient l’investissement, elles décidaient quelles chansons seraient enregistrées, comment et où se ferait la distribution et la commercialisation, et qui se partageraient les profits. Par contre, la croissance de l’industrie du disque dans les années 1920 a donné lieu aux contretemps de la Grande Dépression, où les ventes de phonographes ont chuté de 987 000 en 1927 à 40 000 en 1932. En ce même temps, les ventes de disques ont passé de 104 millions à seulement 6 millions. En 1935, les onze compagnies d’enregistrements qui se spécialisaient dans le blues et les styles roots avaient toutes fait faillite.

Comme plusieurs musiciens de cette époque, Mississippi John Hurt fut pris au milieu de cet orage. Grâce à ses collaborations avec Willie Narmour (1889-1961), un violoneux blanc populaire, il fut invité à enregistrer pour la compagnie de disques Okeh en 1928. Il a enregistré 19 titres, dont 13 furent publiés. « Sliding Delta », parmi les six titres inédits, est disparu dans les poussières du temps. Mississippi John est arrivé au mauvais temps et ses enregistrement n’ont connu que de pauvres ventes. Il est redevenu ce qu’il était toujours – un cultivateur et métayer à Avalon, au Mississippi. Trente-cinq ans plus tard, on l’a convaincu de recommencer à jouer, cette fois pour les jeunes du nord, qui l’ont accueilli à bras ouverts. Il est devenu une figure importante pour le renouveau Folk et Blues des années 1960 et il fut le musicien qui m’a influencé plus que tout autre, me poussant vers les prés élevés de la guitare.

« Sliding Delta » n’est qu’une pièce parmi le grand nombre de chansons qui parlent des inondations dévastatrices qui tourmentent sans cesse l’Amérique. Elle enferme l’image troublante d’une terre emportée par les eaux. La chanson fut sauvée de l’obscurité quand Mississippi John l’a reprise, en studio et en spectacle, dans les années 1960. Plus tard, Doc et Merle Watson l’ont aussi enregistrée – Doc était un grand admirateur et ami de Mississippi John, l’appelant souvent « l’oncle John. » Il existe aussi une chanson appelée « Sliding Delta », enregistrée en 1930 par le bluesman Tommy Johnson (1896-1956), mais c’est une pièce différente avec des paroles différentes.

Il n’y a pas d’information, où que ce soit, sur le sens de l’expression « the big Kate Allen » chanté par Mississippi John. Il ne l’a jamais mentionné et personne ne lui en a demandé. Après avoir fais ma recherche, je crois que c’est une référence à une locomotive, toujours désignée au féminin en anglais. Il y avait certainement beaucoup de locomotives Allen à l’époque, nommées pour Horatio Allen (1802-1899), l’ingénieur américain qui les avait conçu. « Kate » est presque sûrement une référence à la « Katy » (K. T.), le nom donné au chemin de fer du Missouri-Kansas-Texas que Taj Mahal mentionne dans sa brillante composition, « She Caught the Katy, Left Me a Mule to Ride. »

Plusieurs chansons de cette époque ont une référence à une valise et une malle (a suitcase and a trunk), dans lesquelles toutes les possessions terrestres de l’homme sont censées rentrer. Les gens ne possédaient pas de demeure et la plupart travaillait en servitude. J’ai entendu cette expression la première fois en 1964 quand les Animals ont connu un énorme succès avec « House of the Rising Sun », qui lamente « The only thing a gambler needs is a suitcase and a trunk. » Ça me prend toute une chambre chez moi pour contenir juste mes guitares.

Ironiquement, lorsque Mississippi John enregistrait « Sliding Delta » en 1928, le Mississippi, son État d’origine, se remettait de la grande inondation de 1927. Les torrents ont brisé 145 levées, inondé 27 000 miles carrés de terrain à une profondeur de 30 pieds, tué environ 500 personnes et en ont laissé 700 000 autres sans abri. Il y a des indices que « Sliding Delta » faisait partie du répertoire de John Hurt en 1907 mais plusieurs autres pièces furent composées spécifiquement pour les inondations de 1927, y compris « Mississippi Heavy Water Blues » par Barbecue Bob (Robert Hicks, 1902-1931) en 1927; « Backwater Blues » par Bessie Smith (1894-1937), aussi en 1927; « When The Levee Breaks » par Memphis Minnie (Lizzie Douglas, 1897-1973) et Kansas Joe McCoy (1905-1950) en 1929; et la très influente « High Water Everywhere » par Charley Patton (1891-1934), aussi en 1929.

La grande inondation a aussi inspiré Randy Newman à composer son gros hit de 1974, « Louisiana 1927 », qui met en vedette ces paroles inoubliables, livrées en dialecte cajun :

What has happened down here is the wind have changed
Clouds roll in from the north and it start to rain
It rained real hard and it rained for a real long time
Six feet of water in the streets of Evangeline

La paroisse Evangeline, que j’ai visité en 1999, est dans le cœur du pays des Cajuns. Son nom est, bien sûr, tiré du mot « évangile. »

La petite fille de Mississippi John Hurt, Mary Hurt, se souviens que « Daddy John », comme elle l’appelait, avait écrit chez lui pour annoncer qu’il serait sur le Tonight Show en 1964. Malheureusement, personne dans la famille possédait une télé. Une voisine blanche, mademoiselle Annie Cook, a invité tout le monde à venir chez elle pour voir le show sur sa télé. Johnny Carson a demandé à Mississippi John de chanter « You Are My Sunshine. » Après qu’il eu fini, le public pleurait des larmes de joie, tout comme Johnny Carson. On s’est levé pour l’acclamer, du jamais vu pour un public de studio. Le père de Mary a pu voir son propre père à la télé et il ne pouvait pas le croire. Ce fut un grand moment pour toute la petite communauté d’Avalon.

Aujourd’hui, Mississippi John Hurt repose près de sa vieille cabane, convertie en musée par Mary. Elle organise aussi un camp d’été à Avalon où les jeunes urbains défavorisés peuvent aller en campagne et apprendre un peu de musique.

 

Richard Séguin – voix, guitare acoustique

 

Sliding Delta

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« Casey Jones » de Furry Lewis

Quand Thomas Edison a inventé le phonographe en 1877, il y avait ce sens que le monde changeait et se précipitait vers le futur à un vitesse étourdissante. Communément appelée une « machine parlante » (par la suite connue comme gramophone, d’où nous vient le nom du prix Grammy), elle s’est associée à la machine à écrire, la caisse enregistreuse et la machine à coudre comme les merveilles de l’âge. À l’époque, la revue Scientific American a dit du phonographe : « rien ne peut être conçu qui serait plus probable à créer des plus profondes sensations, à susciter des plus vives émotions humaines, que d’entendre à nouveau la voix familière des défunts. »

J’ai écouté la « voix familière des défunts » pour presque toute ma vie, grâce au travail des compagnies qui ont trouvé des façons d’enregistrer le son électroniquement et fabriquer des machines à enregistrer portables. Vers la fin des années 1920, plusieurs compagnies du nord des États-Unis ont parcouru le Sud afin d’enregistrer de la musique ethnique de toutes sortes et, bien que la plupart de ces enregistrements aient disparu dans l’obscurité, ils demeurent dans notre mémoire.

Harry Smith (1923-1991) était un bohémien excentrique et étudiant d’anthropologie autodidacte qui a développé, entre autres intérêts, une manie de collectionner des vieux disques, les 78 tours étant le seul format disponible à l’époque. Il a accumulé une collection de plusieurs milliers de ces disques et, avec le temps, il s’est intéressé à les préserver. En 1950, il a présenté les meilleurs enregistrements de sa collection à Moe Asch, le président de Folkways Records, avec l’idée de les vendre. Asch a plutôt suggéré que Smith utilise tout ce matériel pour éditer une anthologie de musique folk sur microsillons, la fine pointe de la technologie de l’époque, avec l’espace et l’équipement que Asch possédait. Les trois microsillons résultant (maintenant 6 CDs) contenaient 84 chansons, publiées en 1952 comme « The Anthology of American Folk Music. » C’est devenu la Bible du renouveau folk et blues des années 1960.

Les pièces de l’anthologie ont tous été enregistrées entre 1926 et 1933. Tous les artistes étaient inconnus à l’époque mais certains d’entre eux sont devenus célèbres par la suite. Aujourd’hui, je vous présente un de ces artistes, le guitariste/compositeur/chanteur Furry Lewis.

Walter E. « Furry » Lewis (1893 – 1981) est né à Greenwood, au Mississippi. Sa famille a déménagé à Memphis quand il avait sept ans, où il a acquis le sobriquet « Furry » de ses camarades de jeu. En 1908, il jouait déjà à des rencontres, aux tavernes et sur la rue. On l’a aussi invité à jouer plusieurs fois avec W.C. Handy et son orchestre – W.C. Handy est devenu par la suite un des plus influents des compositeurs américains. Dans ses voyages comme musicien, Lewis a rencontré une variété d’interprètes, tels Bessie Smith et Blind Lemon Jefferson, diversifiant son portefeuille impressionnant. Lewis a parcouru le Sud, souvent dans des spectacles de music-hall présentés par les « medicine shows » itinérants.

En 1917, en tentant de sauter sur un train en marche, la jambe de Lewis a resté prise dans un couplage et il est tombé sous les roues du train. L’accident, presque fatal, a mené à l’amputation de sa jambe gauche. Forcé à porter une prothèse pour le restant de ses jours, il s’est fatigué de voyager et, en 1922, il s’est trouvé un poste permanent, nettoyant les rues de Memphis jusqu’à sa retraite en 1966. Toujours passionné de la musique, Lewis a continué à jouer dans la région. En 1928, Lewis a enregistré quelques pièces de blues pour Victor Records, dont deux chansons de chemin de fer, « Casey Jones » (parfois épelée « Kassie Jones ») et « John Henry .» Lewis avait appris ces pièces d’un musicien de rue à Memphis connu tout simplement comme Blind Joe.

Comme plusieurs bluesmen de son époque, Furry Lewis a connu un regain d’intérêt durant le renouveau folk et blues des années 1960. Il a fait plusieurs nouveaux enregistrements, a joué sur le Tonight Show avec Johnny Carson, a joué en première partie pour les Rolling Stones deux fois, fut l’objet d’un profil dans la revue Playboy et a tenu un rôle dans « W.W. And The Dixie Dancekings », un film de Burt Reynolds (1975). En 1973, il fut nommé Colonel honoraire de l’État du Mississippi, une distinction aussi accordée à Duke Ellington et Elvis Presley. En 1976, Joni Mitchell a composé et enregistré une chanson pour Lewis, intitulée « Furry Sings The Blues. » Vers la fin de sa vie, Lewis a commencé à perdre sa vue à cause de cataractes et, en 1981, il a contracté une pneumonie qui a menée à sa mort, d’une attaque cardiaque, à l’âge de 88 ans.

La pièce « Casey Jones » de Lewis introduit une tranche insolite de deux temps pour diviser les deux parties de chaque verset mais c’est son vocal syncopé et rythmique qu’on continue d’entendre dans tellement de pièces enregistrées par la suite, que ce soit du R & B, du rock ‘n roll et même du rap.

Jonathan Luther « Casey » Jones (1863 – 1900) de Jackson au Tennessee était un chef de train pour la Illinois Central Railroad. Il a été tué le 30 avril, 1900, quand un virage serré a placé son train en collision avec un autre train de marchandises au point mort sur la voie ferrée, près de Vaughn au Mississippi. Jones a réussi à réduire la vitesse de son train de telle façon qu’il est crédité d’avoir sauvé la vie de tous les passagers. Casey Jones fut la seule victime de l’accident et sa légende a grandi par la suite.

Quelques précisions sur les termes utilisés dans la chanson :
– « Drivers », aussi appelés « driving wheels » désignent les roues sous l’engin du train, tous accouplés par une tige poussée par les pistons de la locomotive. Ce sont ces roues qui propulsent le train, les autres roues servant de support.
– « Eastman », fort probablement, est une référence au gang de rue Eastman qui dominait le crime organisé à New York dans le quartier Five Points de Manhattan vers la fin du 19e siècle. Comme indice, le protagoniste de la chanson vend du gin et n’a pas besoin de travailler! L’ère des gangs de New York est bien captée dans le film « Gangs of New York », de Martin Scorsese (2002).

 

Richard Séguin – voix, guitare acoustique, percussion (boîte de carton)

 

Casey Jones

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