« Maggie’s Farm » de Bob Dylan

En 1965, Dylan a entamé sa performance monumentale et controversée au festival Folk de Newport avec « Maggie’s Farm », une pièce tirée de son récent album, « Bringing It All Back Home. » C’était la première fois qu’il se présentait sur scène avec un orchestre électrique, bien au délire de la foule. Pour en savoir plus sur cette époque et les changements profonds qui se manifestaient chez Dylan, cliquez ici.

De gauche à droite sur la photo, Mike Bloomfield, Sam Lay et Jerome Arnold provenaient tous du Paul Butterfield Blues Band. Al Kooper, à droite de Dylan, avait remplacé Barry Goldberg à l’orgue durant l’enregistrement studio de « Like a Rolling Stone. » J’étais le plus gros fan de cette nouvelle musique électrique de Dylan et « Maggie’s Farm » était, et est encore, à l’apogée de mes préférés. Par contre, en 1965, je ne savais pas que « Maggie’s Farm » allait s’accaparer une place spéciale dans ma vie.

Vers la fin de mon adolescence, j’avais décidé que je voulais être un homme instruit. J’avais deux amis, André « Red » Henri et Jean-Pierre Béland, qui étaient instruits et ils parlaient tous deux comme un oiseau chante – vocabulaire étendu, le verbe facile, j’aurais pu les écouter parler toute la journée. Alors, le secondaire fini j’ai visé l’université, question de m’instruire. Mais il y avait des problèmes. L’université était à Ottawa et moi, à Rockland. Je n’avais pas d’auto, pas d’argent et mes parents ne pouvaient pas se permettre de payer pour mes études. Dans ma tête, ma vie entière dépendait d’une éducation réussie alors j’ai emprunté de l’argent de la banque et j’ai pris l’autobus pour Ottawa à chaque matin, revenant chez-nous à chaque soir.

Une de mes nouvelles classes finissait à 11 h du soir et il n’y avait pas de service d’autobus à cette heure. J’ai tenté de changer l’heure de ce cours mais c’était 1968-69 et les étudiants se prenaient tous pour des « hippies » ultra-cool – ils avaient occupé la bâtisse de l’administration et manifestaient contre la guerre, contre les lois, contre tout sauf le pot. L’administration de l’université communiquait avec les étudiants en agrafant des mémos aux poteux de téléphone pour nous aviser où on pouvait les rejoindre de jour en jour. Le problème était que ce n’était pas dans mes habitudes de lire les affiches publiques. J’ai perdu le sentier de mes classes, déjà mal dessiné.

Dans ces classes, les professeurs étaient désintéressés et le curriculum était une course pour eux – ils voulaient tous finir le plus vite possible. Si je demandais une question, on me répondait poliment que la question était intéressante mais que nous n’avions pas le temps de se pencher là dessus. Complètement désabusé, j’ai parlé à Jean-Pierre dans la cafétéria – Jean-Pierre finissait sa dernière année et moi je commençais ma première. Pas pour la dernière fois, mon ami m’a donné son support et m’a fait comprendre que je pouvais m’instruire de moi-même (on lisait des livres à cette époque) et peut-être même davantage que par les méthodes organisées par la province. J’ai quitté l’université en février 1969, une faillite complète, à mes propres yeux.

Je m’en voudrais de ne pas mentionner qu’Alrick et Roch, mes acolytes musicaux, ont tous deux réussis leurs études universitaires. Alrick est allé au collège Eastern Washington State, retournant chez lui à Cranbrook en Colombie-Britannique pour travailler en construction durant les étés. Comme moi, il s’ennuiyait, ne se sentait pas prêt et a quitté après son premier semestre. Mal adapté aux emplois dans les secteurs d’exploitation minière, de construction et de foresterie disponibles aux jeunes sans instruction, Alrick est retourné à l’école et les sciences sociales, obtenant un diplôme en psychologie. Après trois ans à Vancouver, Alrick a étudié le journalisme à l’université Carleton et a obtenu sa maîtrise en 1984, le seul de sa famille immédiate à ce faire. Roch, aussi de Rockland et un bon ami depuis le secondaire, était dans le même pétrin que moi. Sa mère a élevé Roch et sa soeur d’elle-même et n’avais pas d’argent pour les frais de scolarité. Comme moi, Roch a emprunté de l’argent de la banque et a fait la navette par autobus de Rockland à l’université d’Ottawa. Contrairement à moi, Roch a persévér pendant trois longues années pour décrocher son baccalauréat en science politique.

J’ai commencé à travailler en septembre mais les ados sans diplôme n’ont pas les meilleurs jobs. Je travaillais à trier et liver le courrier dans une salle au sous-sol de l’édifice Sir John Carling, qui n’existe plus mais qui était occupée par le ministère de l’Agriculture à cette époque et qui faisait partie de la Ferme expérimentale centrale d’Ottawa. Pour me rendre au bureau, je voyageais avec M. Fernand Laporte et M. Ovila Diotte de Rockland, tous deux élégants dans leurs cols et complets, moi, un peu moins. M. Laporte, aussi un homme très instruit, était le meilleur siffleur que j’ai rencontré de ma vie. Roger Whittaker aurait eu honte. M. Laporte se laissait emporter par la musique classique qu’on écoutait à la radio et il sifflait à cœur joie. C’était comme voyager avec un oiseau et, avec beaucoup de pratique, j’ai appris à bien siffler, grâce à M. Laporte.

Le travail était ennuyeux mais j’avais trois amis dans la salle de courrier. Jim, un anglophone très intelligent et un peu plus vieux que moi, avait anticipé le genre « goth » par plusieurs années. C’était pour moi un autre monde – on ne connaissait pas les goths à Rockland. Jim était grand, portait un grand manteau noir jusqu’aux chevilles, ses jeans et son t-shirt étaient noirs, il portait des bottes d’armée noires et même ses longs cheveux étaient teints noirs. Son groupe préféré était les Rolling Stones et il vivait pour la négativité profonde de leurs paroles, tel « Heart of Stone », « Under My Thumb » et « (I Can’t Get No) Satisfaction. » Jim ressemblait même à Jagger!

Mon deuxième ami, Marcel, était un gars des rues de Hull, peut-être 6 ans plus vieux que moi. Un gars malmené par la nature – il était maigre avec un nez en crochet, les cheveux courts et indisciplinés, et il ne lui restait que quelques dents, toutes pourries! Marcel était un romantique et me parlais continuellement de sa blonde. Il a vite vu que j’étais un naïf de la campagne et il est devenu en sorte mon protecteur, presqu’un grand frère. Surtout, Marcel m’a masqué d’un des fonctionnaires au troisième étage, un prédateur homosexuel très vulgaire avec une affinité pour les jeunes francophones. Marcel l’a convaincu que je ne parlais ni ne comprenais le français, ce qui ne l’empêchais pas de me tourmenter verbalement davantage, pensant que je ne comprenais pas ce qu’il disait. Marcel s’est alors chargé de livrer le courrier de ce monstre à ma place. Un ami comme peu d’autres, Marcel.

Mon troisième ami se nommait Doug mais tout le monde le connaissais comme Dougie, un grand homme d’une trentaine d’années que les gens pensaient arriéré mais je le voyais plutôt comme un homme simple, pas comfortable avec les interactions compliquées que les gens jonglaient entre eux-mêmes. Il demeurait avec sa mère, qu’il aimait beaucoup, et il avait quelque chose que personne des autres travailleurs n’avait – de l’enthousiasme. Dougie pouvait trier et livrer le courrier comme personne. Il était bon dans son métier, fier de lui-même et il était heureux, répandant sa joie sur tous les étages de la bâtisse. Tout le monde aimait Dougie. Enfin, tout le monde aimait Dougie sauf une personne – le patron de la salle de courrier.

Alrick Huebener

C’était un type ex-armée, épais du torse et épais de la tête, toujours en colère, sans doute frustré par sa vie ignoble. Il blâmait tout sur Dougie parce que Dougie ne rouspétait jamais. Dougie regardait tout simplement le plancher honteusement, ne comprenant pas ce qu’il avait fait de mal. J’ai commencé à haïr mon patron plus que je haïssait Hitler et j’ai voulu le blesser comme il blessait Dougie. Alors j’ai attendu au temps le plus occupé de l’année, deux semaines avant Noël, et je suis entré dans son bureau pour lui annoncer qu’un imprévu m’obligeait de quitter à l’instant, le laissant à court d’un homme. Il était furieux, très déçu de moi mais je souriais en quittant la salle de courrier.

Roch Tassé

De retour à Rockland, je me sentais comme une faillite complète mais j’avais dix-neuf ans. Les dix-neuf ans ne restent pas maussade longtemps. Ils ont des mécanismes de soutien, plusieurs en fait. Dans ma tête, la ferme expérimentale ressemblait à « Maggie’s Farm » – une place où l’est est situé à l’ouest et où tout ce qui est bas se trouve aux étages supérieurs. Je m’enfermais dans ma chambre et je bûchais sur ma guitare, chantant à tue – tête la délicieuse tirade de Dylan : « I ain’t gonna work on Maggie’s farm no more! » C’était de la musique comme libération émotionnelle. Témoin de ces cris et ces hurlements provenant de ma chambre, ma pauvre mère, pas pour la première fois ni pour la dernière, pensais sûrement que j’étais finalement devenu fou.
 
Richard Séguin – guitares électriques, voix
Alrick Huebener – contrebasse acoustique
Roch Tassé – batterie
 
Maggie’s Farm

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La courte et triste vie de Bix Beiderbecke

Aux États-Unis, les années 1920 sont connues comme « les années folles » mais qu’est-ce qui affolait les gens à l’époque? La fin de la première Grande Guerre? J’en doute. Les Américains n’ont participé aux combats que durant la dernière année de la guerre. Les deux choses qui affolaient les Américains durant les 1920 étaient l’alcool et le jazz.

La prohibition aux É.U. (de 1920 à 1933) a interdit la fabrication, le transport, la vente, l’importation et l’exportation de boissons alcoolisées. Ceci a mené à la contrebande (bootlegging) et les boîtes de nuit (speakeasies) où le jazz et les danses démentes de l’époque ont prospéré. La prohibition a aussi mené au crime organisé et aux bandits comme Al Capone et Dutch Schultz mais ça c’est une histoire pour un autre jour.

Le jazz est une institution entièrement américaine qui a pris naissance à la Nouvelle-Orléans, en Louisiane. Pour la plupart, les artistes du jazz étaient Afro-américains, tels « Jelly Roll » Morton (Ferdinand LaMothe), Duke Ellington et Louis Armstrong. La plupart des artistes oeuvraient dans les grands centres urbains de Chicago et New York mais il y avait des exceptions. Une exception toute sa vie, Leon Bismark « Bix » Beiderbecke, né en 1903 à Davenport, au Iowa, était le plus jeune de trois enfants d’un émigrant allemand. Beiderbecke père était un riche marchand en charbon et en bois souvent absent de la maison et très autoritaire quand il y était. Par conséquent, Bix n’a jamais pu être près de son père et ce manque l’a déchiré toute sa vie.

À un très jeune âge, sa mère a encouragé son intérêt pour le piano et Bix a développé une affinité pour la musique du compositeur français Claude Debussy. Quand il avait 7 ans, les journaux de Davenport parlaient avec enthousiasme de sa remarquable oreille pour la musique, jouant au piano n’importe quel air qu’il entendait, en dépit de son manque de formation. Bix s’est dirigé vers le jazz en entendant la collection de disques de son frère aîné Burnie, surtout les pièces du Original Dixieland Jazz Band, un groupe racialement intégré de la Nouvelle Orléans qui a lancé le premier enregistrement de jazz en 1917, « Livery Stable Blues. » Cette pièce géniale, où les instruments imitent les sons d’animaux de basse-cour, a connu un énorme succès national à l’époque. Bix écoutait aussi le jazz qu’on entendait des bateaux de rivière qui descendaient la rivière Mississippi jusqu’à Davenport.

À l’école, les choses allaient moins bien. Bix avait une aversion pour l’enseignement sous toutes ses formes. On connaissait peu des troubles d’apprentissage à l’époque et son manque de succès scolaire était vu comme une déficience. Les choses ont empiré en 1912 quand Bix, atteint de la scarlatine, a dû répéter une année. De plus en plus, l’enfant se sentait aliéné.

Au secondaire, Bix jouait avec plusieurs orchestres sur un vieux cornet poqué, un don d’une voisine. En plus de sa passion pour le jazz, c’était l’ère de la prohibition et Bix a commencé à boire mais il ne pouvait pas modérer sa consommation. Ses absences s’accumulaient et ses notes plongeaient. Tous les hommes abusent de l’alcool pour la même raison – ils sont pris dans une situation intolérable et ils veulent à tout prix être ailleurs. L’alcool est facile à obtenir, peu dispendieux et très efficace à emporter les gens ailleurs.

Bix fut justement pris dans une situation intolérable en 1921 quand deux hommes l’ont vu amener une fillette de cinq ans dans un garage. De toute évidence, aucun méfait ne s’est produit mais Bix fut arrêté par la police et des accusations furent déposées. Les deux familles impliquées et la police ont décidé d’effacer tous les registres de l’incident mais le père de Bix était furieux, comme il l’était souvent, et a expédié son fils à Lake Forest, une académie militaire près de Chicago. C’étais comme donner un briquet à un pyromane. Bix s’est vite dirigé vers les clubs de Chicago, avec le jazz, la boisson et les gangsters. Il fumait constamment, victime d’une angoisse continue.

À Chicago, accompagné de son bon ami le compositeur Hoagy Carmichael, auteur des chefs-d’oeuvre « Stardust » et « Georgia On My Mind », entre autres, Bix a finalement entendu une de ses idoles jouer dans l’orchestre de King Oliver – Louis Armstrong, qui deviendrait un des plus grands artistes du 20e siècle. Durant une excursion à New York, Bix a aussi rencontré Nick LaRocca, le joueur de cornet du Original Dixieland Jazz Band dont les enregistrements avaient inspiré Bix à jouer le cornet. Bix a lui même joué dans plusieurs orchestres durant son séjour à Lake Forest mais la seule classe qu’il n’échouait pas était la musique et, même là, il n’était pas intéressé à apprendre les formalités de cette discipline, il voulait tout simplement jouer. Bix a cessé d’assister aux classes et il fut expulsé de Lake Forest en 1922.

Bix s’est ensuite joint à un orchestre qui jouait au Stockton Club, dans la région de Cincinnati. L’orchestre était reconnu pour sa version de « Wolverine Blues », une composition de Jelly Roll Morton, et fut connu comme le Wolverine Orchestra, le premier orchestre formé entièrement de musiciens blancs qui ne venaient pas de la Nouvelle-Orléans. À la veille du jour de l’an 1923, deux gangs se sont croisés dans une querelle sanglante au Stockton Club. La police s’en est mêlé et le Stockton Club a du fermer ses portes. Sans travail, Bix a joué avec des orchestres dirigés par Jean Goldkette, Frankie Trumbaur et Paul Whiteman. Ses meilleurs enregistrements datent de cette époque.

Les enregistrements originaux de Bix Beiderbecke sont un trésor, une partie précieuse de ma collection, un puits où l’eau fraîche peur être revisitée indéfiniment. Pour commencer par une de ses propres compositions, voici « Davenport Blues », dédiée, bien sûr, à sa ville natale et enregistrée en 1924 sous le nom de Bix And His Rhythm Jugglers. Le processus acoustique d’enregistrement était encore utilisé à l’époque, où un énorme cornet amplifiait le son de l’orchestre pour faire vibrer l’aiguille qui gravait un disque de cire. Cette méthode fut remplacée en 1925 par encore une autre nouvelle invention, le microphone. Les mélodies joyeuses de la pièce ne laissent pas deviner le tracas intérieur du compositeur.

Davenport Blues, Bix And His Rhythm Jugglers, 1924

La performance de Bix sur « Singin’ The Blues », une composition de J. Russell Robinson, Con Conrad, Sam M. Lewis et Joe Young enregistré en 1927 sous le nom de Frankie Trumbauer And His Orchestra, est certainement une de ses plus célèbres. Son ton et son imagination sont en pleine floraison. La partie de guitare est jouée par le grand Eddie Lang, le père de la guitare jazz. En 1977, cet enregistrement fut intronisé au panthéon du Grammy.

Singin’ The Blues, Frankie Trumbauer And His Orchestra, 1927

« In A Mist », une autre composition de Bix, est la seule pièce lancée sous son propre nom et le seul solo de piano qu’il a enregistré, en 1927. C’est une pièce unique dans tout le jazz de cette époque. En effet, on doit attendre l’arrivée de Thelonious Monk, 20 ans plus tard, avant d’entendre à nouveau ces accords dissonants et ces structures chromatiques.

In A Mist, Bix Beiderbecke, 1927

Le style de Bix, concis mais chargé d’émotions, a fait de lui une célébrité, connue davantage en Europe qu’aux États-Unis. Eddie Condon, un guitariste qui a joué un rôle important dans le développement du jazz à New York, a dit que le cornet de Bix « sonnait comme une fille qui dit oui. »

L’horaire chargé de Paul Whiteman, en concerts et en enregistrements, a exacerbé l’alcoolisme de Bix. En 1928, durant une tournée à Cleveland, il a éprouvé une sérieuse dépression nerveuse. Il a dû retourner à Davenport pour récupérer. Un examen complet à l’Institut Keely à Dwight, en Illinois, a confirmé les effets néfastes de son alcoolisme. Son foie était gonflé et une inflammation des nerfs compliquait sa condition.

1929 est vite venu et tous les musiciens se sont trouvés sans travail suite à la Grande Dépression. Malheureusement, Bix ne vivait que pour la musique et il perdait donc sa seule raison de vivre. Sur son dernier enregistrement à New York en 1930, Bix a joué avec son ami Hoagy Carmichael, qui chantait pour la première fois sa nouvelle composition, « Georgia On My Mind. » En 2014, cet enregistrement fut intronisé au panthéon du Grammy.

Bix s’est retrouvé a New York et a loué un petit appartement dans le quartier Queens. Il a fermé la porte et il a commencé à boire sans cesse. Dans la soirée du 6 août 1931, des cris hystériques émanaient de l’appartement de Bix et son agent de location a entré chez lui pour constater ses tremblements incontrôlables. Il criait que deux Mexicains avec de longs couteaux se cachaient sous son lit. Pour le calmer, l’agent de location a regardé sous le lit et se levait pour assurer Bix qu’il en était rien quand Bix a trébuché et lui est tombé dans les bras. Un docteur d’un appartement avoisinant fut appelé mais Bix était déjà mort. Il avait 28 ans. Sa mère et son frère ont pris le train pour New York et ont fait les arrangements pour le retour du corps à sa ville natale, où il repose au cimetière Oakdale.

On en sait peu sur les amours de Bix. Les musiciens alcooliques sans contrôle n’étaient pas recherchés par les jeunes femmes qui voulaient une liaison stable. Le roman de 1938 « Young Man With A Horn », de Dorothy Baker, est vaguement basé sur la vie de Bix. Le roman est aussi la base du film de 1950 du même nom, dirigé par Michael Curtiz et mettant en vedette Kirk Douglas, Lauren Bacall et Doris Day. Une planète mineure, l’astéroïde 23457, est nommée Beiderbecke, en son honneur.

La maison Beiderbecke est maintenant un gîte pour touristes. Durant les rénovations, on a trouvé au grenier un tas de disques 78 tours, tous adressés à Beiderbecke père de son fils Bix, qui a cherché toute sa vie pour l’approbation de son père. Les disques, quelques 200 titres, étaient encore dans leurs cartons. Personne ne les avait ouverts. Personne ne les avait écoutés.

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« Like a Rolling Stone » de Bob Dylan

J’étais un enfant très heureux. J’ai grandi dans une grande famille stable, dans un milieu rural, jouant dehors avec plein d’amis. J’ai réussi à endurer la perte de mes grand-parents et même de mon frère Gabriel, tant bien que mal. Par contre, à partir de la Crise des missiles cubains en octobre 1962, je n’ai pas si bien enduré l’existence de dirigeants politiques étrangers qui menaçaient la survie de tout sur cette planète. J’ai commencé à haïr ces gens inconnus qui interféraient avec ma vie parfaite, comme s’ils avaient la permission de decider du sort des autres. Je ne voulais pas cette vie et, pour la première fois, j’étais malheureux. Et les choses ont empiré.

Je commençais mon secondaire quand Oswald a tué Kennedy. Ruby a tué Oswald et il est mort par après d’une embolie pulmonaire à l’hôpital Parkland de Dallas, la même place où Kennedy et Oswald sont morts. Ensuite, James Earl Ray a tué Martin Luther King Jr. et Sirhan Sirhan a tué Bobby Kennedy, les deux en 1968. J’étais (et je suis toujours) conscient que je vivais à côté d’une nation de barbares. Toute nation où les citoyens peuvent légalement porter des armes est, par définition, une nation de barbares. Je remercie la providence qu’elle n’a pas tué son plus sévère critique, un homme qui a vécu assez longtemps pour faire une vraie différence – Bob Dylan.

Je suivais Bob Dylan parce qu’il parlait de tout ce qui me rendait anxieux. En 1962, « Blowin’ in the Wind » est devenu l’hymne du Mouvement des droits civiques. En 1963, le raciste Byron De La Beckwith a assassiné Medgar Evars, un militant Afro-américain des droits civiques. En réponse, Dylan a chanté « Only a Pawn in Their Game » à la Marche de la liberté sur Washington, où Martin Luther King Jr. a prononcé son fameux discours « I have a dream. » Toujours en 1963, Dylan a publié « A Hard Rain’s A-Gonna Fall », un avertissement sinistre à propos de l’escalade de la course aux armements. La violence et les manifestations étaient partout en 1964 quand il a publié l’album « The Times They Are A-Changin’ », un euphémisme évident.

Dylan n’a jamais cherché la célébrité et l’adulation qui l’encerclaient chaque heure de chaque jour. Une génération entière de jeunes gens éduqués s’attendait qu’il soit le sauveur de leur existence troublée mais Dylan a toujours été un outsider. Tandis que l’industrie complète de la musique, de The Byrds à Mitch Miller, de Harry Belafonte à Duke Ellington, voulait un morceau de Dylan en enregistrant des centaines de versions de ses pièces, il progressait dans une direction différente, sa musique en marche graduellement vers un son blues intensifié par l’addition d’instruments électriques. Tout a commencé avec « Bringing It All Back Home », un album publié au début de 1965 qui mélangeait ses superbes compositions acoustiques avec quelques pièces électriques qui annonçaient un nouveau Dylan, un parolier exceptionnel dont la conscience semblait être en explosion.

Dylan est revenu d’une tournée épuisante de l’Angleterre (voir « Don’t Look Back » (1965), le documentaire de D.A. Pennebaker) et est entré en studio en juin 1965 pour enregistrer « Like a Rolling Stone. » La pièce a traversé des tempos différents, plusieurs pages de paroles, une signature rhythmique d’essai de ¾ et un bon nombre de musiciens, les plus célèbres étant Mike Bloomfield et Al Kooper. Bloomfield, le guitariste puissant de la Paul Butterfield Blues Band que Dylan a qualifié de meilleur guitariste qu’il avait entendu, fut un choix facile. Al Kooper, un guitariste de 21 ans fut invité à participer par le producteur Tom Wilson. Quand Kooper a entendu Bloomfield jouer, il a remis sa guitare dans son étui et déménagé à la chambre de contrôle! Lorsque Wilson a changé un musicien de l’orgue au piano, Kooper a truqué Wilson à croire qu’il avait la partition d’orgue parfaite pour cette chanson. Wilson s’est moqué de lui mais n’a pas dit non et quand Dylan l’a entendu jouer, il a dit à Wilson d’augmenter le volume de l’orgue. Wilson a protesté, disant que Kooper ne savait pas jouer l’orgue mais Dylan a gagné et la partition d’orgue la plus célèbre de la décennie fut née.

Suite aux inquiétudes des départements de ventes et de commercialisation à propos de la longueur sans précédent de 6 minutes pour la pièce et le son rock bruyant, Columbia Records a initialement rejeté « Like a Rolling Stone. » Un acétate superflu de la chanson s’est trouvé dans une disco de New York, où les demandes de la foule l’ont vite complètement usé. Le 20 juillet 1965, « Like a Rolling Stone » fut publié sur la face A d’un single avec le bijou acoustique « Gates of Eden » sur la face B.

Alrick Huebener

D’après Acclaimed Music, un agrégateur de critiques, « Like a Rolling Stone » est la chanson la plus acclamée de tous les temps, statistiquement. Le magazine Rolling Stone la place première dans leur liste des 500 meilleures chansons de tous les temps. En 2014, le manuscrit original des paroles de la chanson fut vendu aux enchères pour 2 millions, un record mondial pour un manuscrit de musique populaire. Dans une entrevue sur Radio Canada Montréal, Dylan a dit que la création de la pièce fut une percée, qu’elle avait changé sa perception de la direction de sa carrière.

J’avais 15 ans quand j’ai entendu « Like a Rolling Stone » pour la première fois. Je marchais dans la cafétéria à l’école, une radio jouant à l’arrière, quand le premier coup de snare, que Bruce Springsteen a décrit comme « le son de quelqu’un qui donne un coup de pied dans la porte de ton esprit », a sonné, suivi de l’orgue sublime de Al Kooper. J’ai figé sur place et je n’ai pas bougé pendant 6 minutes.

Immédiatement après la parution de « Like a Rolling Stone », Dylan a entamé une tournée sur trois continents. Il fut hué, menacé et pris d’assaut partout où il a joué. Pourquoi? L’orchestre jouait des instruments électriques. La dynamique entre une performance acoustique et une électrique est opposée. Pour un concert acoustique, la direction est vers l’artiste, le public écoute attentivement et il existe un lien personnel avec l’artiste. Rien de cela se perpétue dans une performance électrique. La direction est vers le public, bruyant, agressif et imposant. Dans le cas de Dylan, le lien personnel avec le public a cessé d’exister, ce qui fut perçu comme une trahison.

Roch Tassé

Au Festival Folk de Newport, Pete Seeger a menacé de couper les fils des amplificateurs et Dylan fut hué de l’estrade après trois pièces. On l’a cajolé pour qu’il revienne sur scène, guitare acoustique en main, pour jouer « It’s All Over Now, Baby Blue », un choix prophétique. Au stade de tennis Forest Hills à New York, le public l’a hué et a chargé l’estrade. Cette période démente est parfaitement captée dans le documentaire « No Direction Home » de Martin Scorsese, le titre tiré des paroles de « Like a Rolling Stone. » On démontre clairement que Dylan était devenu un artiste de plus en plus frustré et désespéré face à un public insensible et des médias insensés. Il parle d’en avoir assez et de tout cesser pendant un certain temps. Le hasard a voulu que Dylan n’ait pas à prendre cette décision. De retour à la maison, Dylan a fini un autre chef d’oeuvre avec l’enregistrement de l’album « Blonde On Blonde », mais fut impliqué dans un sérieux accident de motocyclette le 29 juillet 1966. Le mystère embrouille l’incident. Aucun rapport de police ne fut déposé. Dylan ne s’est jamais présenté à un hôpital. Il a passé trois mois dans une chambre au troisième étage chez un docteur de sa connaissance.

Dylan a continué à composer et enregistrer mais sa musique n’a jamais été la même. Différente mais toujours géniale – « All Along the Watchtower », tirée de l’album « John Wesley Harding » en 1967, a fait de Jimi Hendrix un nom très connu. Par contre, Dylan n’est pas retourné en tournée pendant huit ans.

Comme toujours, mes remerciements vont à Roch et Alrick, deux des meilleurs musiciens que j’ai été assez chanceux de connaître.

 

Richard Séguin – voix, guitares acoustiques à 6 et 12 cordes, guitares électriques, guitare MIDI (orgue)
Alrick Huebener – contrebasse
Roch Tassé – batterie

 

Like a Rolling Stone

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« Sliding Delta » de Mississippi John Hurt

La page d’accueil de mon site s’identifie par la phrase « La musique d’hier, revisitée. » J’ai aimé la musique d’hier depuis que j’ai entendu Bert Jansch, dans les années 1960, jouer des mélodies celtiques datant de 300 ans. C’était pour moi une véritable machine à remonter le temps – je pouvais entendre la même chose que le monde entendait il y a 300 ans. Je me sentais comme si j’étais là.

Aujourd’hui, le passé me fascine, tout particulièrement cette musique créée entre les deux grandes guerres, ce moment aux États-Unis où la musique roots a fleuri, avec sa simplicité, sa spiritualité, et son antiquité. La musique roots fait partie de l’histoire et il n’y a pas de plus grand éducateur que l’histoire. À un temps où de plus en plus de personnes abandonnent le contrôle de leur vie à la technologie, l’histoire et ses enseignements semblent encore plus importants que jamais. Comme Edmund Burke a dit au 18e siècle, « Ceux qui ignorent l’histoire sont condamnés à la répéter. »

On a donné des chics noms aux deux décennies entre les guerre mondiales – les années folles et la Grande Dépression. Les années 1920 ont vu des savants et des collectionneurs des États du Nord rechercher des musiciens à enregistrer afin de préserver leurs chansons et leurs styles, les croyant en état de disparition parmi le rythme rapide du changement social, culturel, économique et technologique qui engloutissait l’Amérique. En même temps, les commerces du Nord voyaient l’énorme potentiel pour un profit dans la croissance des ventes de phonographes et de disques. Ces commerces classaient la musique roots selon une ligne colorée – les « disques de race » pour les musiciens noirs et les « disques hillbilly » pour les musiciens blancs – même si cette ligne colorée n’existait même pas chez les musiciens. L’homme doit manger et les musiciens jouaient ce que les gens voulaient entendre. Un bluesman noir se devait de jouer pour une danse dans une grange de campagne ou pour un bar Mitzvah; les musiciens blancs d’un orchestre à cordes se devaient de faire danser la clientèle noire d’un relais routier ignoble.

Puisque les compagnies de disques faisaient l’investissement, elles décidaient quelles chansons seraient enregistrées, comment et où se ferait la distribution et la commercialisation, et qui se partageraient les profits. Par contre, la croissance de l’industrie du disque dans les années 1920 a donné lieu aux contretemps de la Grande Dépression, où les ventes de phonographes ont chuté de 987 000 en 1927 à 40 000 en 1932. En ce même temps, les ventes de disques ont passé de 104 millions à seulement 6 millions. En 1935, les onze compagnies d’enregistrements qui se spécialisaient dans le blues et les styles roots avaient toutes fait faillite.

Comme plusieurs musiciens de cette époque, Mississippi John Hurt fut pris au milieu de cet orage. Grâce à ses collaborations avec Willie Narmour (1889-1961), un violoneux blanc populaire, il fut invité à enregistrer pour la compagnie de disques Okeh en 1928. Il a enregistré 19 titres, dont 13 furent publiés. « Sliding Delta », parmi les six titres inédits, est disparu dans les poussières du temps. Mississippi John est arrivé au mauvais temps et ses enregistrement n’ont connu que de pauvres ventes. Il est redevenu ce qu’il était toujours – un cultivateur et métayer à Avalon, au Mississippi. Trente-cinq ans plus tard, on l’a convaincu de recommencer à jouer, cette fois pour les jeunes du nord, qui l’ont accueilli à bras ouverts. Il est devenu une figure importante pour le renouveau Folk et Blues des années 1960 et il fut le musicien qui m’a influencé plus que tout autre, me poussant vers les prés élevés de la guitare.

« Sliding Delta » n’est qu’une pièce parmi le grand nombre de chansons qui parlent des inondations dévastatrices qui tourmentent sans cesse l’Amérique. Elle enferme l’image troublante d’une terre emportée par les eaux. La chanson fut sauvée de l’obscurité quand Mississippi John l’a reprise, en studio et en spectacle, dans les années 1960. Plus tard, Doc et Merle Watson l’ont aussi enregistrée – Doc était un grand admirateur et ami de Mississippi John, l’appelant souvent « l’oncle John. » Il existe aussi une chanson appelée « Sliding Delta », enregistrée en 1930 par le bluesman Tommy Johnson (1896-1956), mais c’est une pièce différente avec des paroles différentes.

Il n’y a pas d’information, où que ce soit, sur le sens de l’expression « the big Kate Allen » chanté par Mississippi John. Il ne l’a jamais mentionné et personne ne lui en a demandé. Après avoir fais ma recherche, je crois que c’est une référence à une locomotive, toujours désignée au féminin en anglais. Il y avait certainement beaucoup de locomotives Allen à l’époque, nommées pour Horatio Allen (1802-1899), l’ingénieur américain qui les avait conçu. « Kate » est presque sûrement une référence à la « Katy » (K. T.), le nom donné au chemin de fer du Missouri-Kansas-Texas que Taj Mahal mentionne dans sa brillante composition, « She Caught the Katy, Left Me a Mule to Ride. »

Plusieurs chansons de cette époque ont une référence à une valise et une malle (a suitcase and a trunk), dans lesquelles toutes les possessions terrestres de l’homme sont censées rentrer. Les gens ne possédaient pas de demeure et la plupart travaillait en servitude. J’ai entendu cette expression la première fois en 1964 quand les Animals ont connu un énorme succès avec « House of the Rising Sun », qui lamente « The only thing a gambler needs is a suitcase and a trunk. » Ça me prend toute une chambre chez moi pour contenir juste mes guitares.

Ironiquement, lorsque Mississippi John enregistrait « Sliding Delta » en 1928, le Mississippi, son État d’origine, se remettait de la grande inondation de 1927. Les torrents ont brisé 145 levées, inondé 27 000 miles carrés de terrain à une profondeur de 30 pieds, tué environ 500 personnes et en ont laissé 700 000 autres sans abri. Il y a des indices que « Sliding Delta » faisait partie du répertoire de John Hurt en 1907 mais plusieurs autres pièces furent composées spécifiquement pour les inondations de 1927, y compris « Mississippi Heavy Water Blues » par Barbecue Bob (Robert Hicks, 1902-1931) en 1927; « Backwater Blues » par Bessie Smith (1894-1937), aussi en 1927; « When The Levee Breaks » par Memphis Minnie (Lizzie Douglas, 1897-1973) et Kansas Joe McCoy (1905-1950) en 1929; et la très influente « High Water Everywhere » par Charley Patton (1891-1934), aussi en 1929.

La grande inondation a aussi inspiré Randy Newman à composer son gros hit de 1974, « Louisiana 1927 », qui met en vedette ces paroles inoubliables, livrées en dialecte cajun :

What has happened down here is the wind have changed
Clouds roll in from the north and it start to rain
It rained real hard and it rained for a real long time
Six feet of water in the streets of Evangeline

La paroisse Evangeline, que j’ai visité en 1999, est dans le cœur du pays des Cajuns. Son nom est, bien sûr, tiré du mot « évangile. »

La petite fille de Mississippi John Hurt, Mary Hurt, se souviens que « Daddy John », comme elle l’appelait, avait écrit chez lui pour annoncer qu’il serait sur le Tonight Show en 1964. Malheureusement, personne dans la famille possédait une télé. Une voisine blanche, mademoiselle Annie Cook, a invité tout le monde à venir chez elle pour voir le show sur sa télé. Johnny Carson a demandé à Mississippi John de chanter « You Are My Sunshine. » Après qu’il eu fini, le public pleurait des larmes de joie, tout comme Johnny Carson. On s’est levé pour l’acclamer, du jamais vu pour un public de studio. Le père de Mary a pu voir son propre père à la télé et il ne pouvait pas le croire. Ce fut un grand moment pour toute la petite communauté d’Avalon.

Aujourd’hui, Mississippi John Hurt repose près de sa vieille cabane, convertie en musée par Mary. Elle organise aussi un camp d’été à Avalon où les jeunes urbains défavorisés peuvent aller en campagne et apprendre un peu de musique.

 

Richard Séguin – voix, guitare acoustique

 

Sliding Delta

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« Casey Jones » de Furry Lewis

Quand Thomas Edison a inventé le phonographe en 1877, il y avait ce sens que le monde changeait et se précipitait vers le futur à un vitesse étourdissante. Communément appelée une « machine parlante » (par la suite connue comme gramophone, d’où nous vient le nom du prix Grammy), elle s’est associée à la machine à écrire, la caisse enregistreuse et la machine à coudre comme les merveilles de l’âge. À l’époque, la revue Scientific American a dit du phonographe : « rien ne peut être conçu qui serait plus probable à créer des plus profondes sensations, à susciter des plus vives émotions humaines, que d’entendre à nouveau la voix familière des défunts. »

J’ai écouté la « voix familière des défunts » pour presque toute ma vie, grâce au travail des compagnies qui ont trouvé des façons d’enregistrer le son électroniquement et fabriquer des machines à enregistrer portables. Vers la fin des années 1920, plusieurs compagnies du nord des États-Unis ont parcouru le Sud afin d’enregistrer de la musique ethnique de toutes sortes et, bien que la plupart de ces enregistrements aient disparu dans l’obscurité, ils demeurent dans notre mémoire.

Harry Smith (1923-1991) était un bohémien excentrique et étudiant d’anthropologie autodidacte qui a développé, entre autres intérêts, une manie de collectionner des vieux disques, les 78 tours étant le seul format disponible à l’époque. Il a accumulé une collection de plusieurs milliers de ces disques et, avec le temps, il s’est intéressé à les préserver. En 1950, il a présenté les meilleurs enregistrements de sa collection à Moe Asch, le président de Folkways Records, avec l’idée de les vendre. Asch a plutôt suggéré que Smith utilise tout ce matériel pour éditer une anthologie de musique folk sur microsillons, la fine pointe de la technologie de l’époque, avec l’espace et l’équipement que Asch possédait. Les trois microsillons résultant (maintenant 6 CDs) contenaient 84 chansons, publiées en 1952 comme « The Anthology of American Folk Music. » C’est devenu la Bible du renouveau folk et blues des années 1960.

Les pièces de l’anthologie ont tous été enregistrées entre 1926 et 1933. Tous les artistes étaient inconnus à l’époque mais certains d’entre eux sont devenus célèbres par la suite. Aujourd’hui, je vous présente un de ces artistes, le guitariste/compositeur/chanteur Furry Lewis.

Walter E. « Furry » Lewis (1893 – 1981) est né à Greenwood, au Mississippi. Sa famille a déménagé à Memphis quand il avait sept ans, où il a acquis le sobriquet « Furry » de ses camarades de jeu. En 1908, il jouait déjà à des rencontres, aux tavernes et sur la rue. On l’a aussi invité à jouer plusieurs fois avec W.C. Handy et son orchestre – W.C. Handy est devenu par la suite un des plus influents des compositeurs américains. Dans ses voyages comme musicien, Lewis a rencontré une variété d’interprètes, tels Bessie Smith et Blind Lemon Jefferson, diversifiant son portefeuille impressionnant. Lewis a parcouru le Sud, souvent dans des spectacles de music-hall présentés par les « medicine shows » itinérants.

En 1917, en tentant de sauter sur un train en marche, la jambe de Lewis a resté prise dans un couplage et il est tombé sous les roues du train. L’accident, presque fatal, a mené à l’amputation de sa jambe gauche. Forcé à porter une prothèse pour le restant de ses jours, il s’est fatigué de voyager et, en 1922, il s’est trouvé un poste permanent, nettoyant les rues de Memphis jusqu’à sa retraite en 1966. Toujours passionné de la musique, Lewis a continué à jouer dans la région. En 1928, Lewis a enregistré quelques pièces de blues pour Victor Records, dont deux chansons de chemin de fer, « Casey Jones » (parfois épelée « Kassie Jones ») et « John Henry .» Lewis avait appris ces pièces d’un musicien de rue à Memphis connu tout simplement comme Blind Joe.

Comme plusieurs bluesmen de son époque, Furry Lewis a connu un regain d’intérêt durant le renouveau folk et blues des années 1960. Il a fait plusieurs nouveaux enregistrements, a joué sur le Tonight Show avec Johnny Carson, a joué en première partie pour les Rolling Stones deux fois, fut l’objet d’un profil dans la revue Playboy et a tenu un rôle dans « W.W. And The Dixie Dancekings », un film de Burt Reynolds (1975). En 1973, il fut nommé Colonel honoraire de l’État du Mississippi, une distinction aussi accordée à Duke Ellington et Elvis Presley. En 1976, Joni Mitchell a composé et enregistré une chanson pour Lewis, intitulée « Furry Sings The Blues. » Vers la fin de sa vie, Lewis a commencé à perdre sa vue à cause de cataractes et, en 1981, il a contracté une pneumonie qui a menée à sa mort, d’une attaque cardiaque, à l’âge de 88 ans.

La pièce « Casey Jones » de Lewis introduit une tranche insolite de deux temps pour diviser les deux parties de chaque verset mais c’est son vocal syncopé et rythmique qu’on continue d’entendre dans tellement de pièces enregistrées par la suite, que ce soit du R & B, du rock ‘n roll et même du rap.

Jonathan Luther « Casey » Jones (1863 – 1900) de Jackson au Tennessee était un chef de train pour la Illinois Central Railroad. Il a été tué le 30 avril, 1900, quand un virage serré a placé son train en collision avec un autre train de marchandises au point mort sur la voie ferrée, près de Vaughn au Mississippi. Jones a réussi à réduire la vitesse de son train de telle façon qu’il est crédité d’avoir sauvé la vie de tous les passagers. Casey Jones fut la seule victime de l’accident et sa légende a grandi par la suite.

Quelques précisions sur les termes utilisés dans la chanson :
– « Drivers », aussi appelés « driving wheels » désignent les roues sous l’engin du train, tous accouplés par une tige poussée par les pistons de la locomotive. Ce sont ces roues qui propulsent le train, les autres roues servant de support.
– « Eastman », fort probablement, est une référence au gang de rue Eastman qui dominait le crime organisé à New York dans le quartier Five Points de Manhattan vers la fin du 19e siècle. Comme indice, le protagoniste de la chanson vend du gin et n’a pas besoin de travailler! L’ère des gangs de New York est bien captée dans le film « Gangs of New York », de Martin Scorsese (2002).

 

Richard Séguin – voix, guitare acoustique, percussion (boîte de carton)

 

Casey Jones

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« Candyman + Cincinnati Flow Rag » du révérend Gary Davis

Né à Laurens en Caroline du Sud, Gary Davis (1896-1972) fut un de huit enfants mis au monde par sa mère mais le seul à survivre jusqu’à l’âge adulte. Il est devenu aveugle en enfance et fut maltraité par sa mère, à un tel point que son père l’a confié aux soins de sa grand-mère paternelle.

Davis a pris goût de la guitare à un jeune âge et il a développé un style unique, jouant non seulement du ragtime et du blues mais aussi des pièces populaires et des compositions originales. Vers le milieu des années 1920, il est déménagé à Durham, en Caroline du Nord, un centre majeur de la culture afro-américaine à l’époque où il a collaboré avec plusieurs autres artistes de la scène Piedmont, y compris Blind Boy Fuller et Bull City Red. Le style Piedmont de la guitare est nommé pour le plateau Piedmont, une région de la côte est des États-Unis, qui s’étend de la Virginie à la Géorgie.

C’est à cette époque que Davis s’est converti au christianisme et, plus tard, il a été ordonné ministre baptiste. Suite à sa conversion et surtout son ordination, Davis a démontré une préférence pour la musique gospel. Ses convictions religieuses l’ont non seulement aidé avec sa cécité mais a aussi cimenté ses racines gospel, une source d’inspiration pour toute sa carrière. Il s’est aussi brisé le poignet droit dans un accident à cette époque, ce qui a contribué à plusieurs de ses doigtés et ses positions peu orthodoxes sur la guitare.

Au début des années 1930, il s’est fait un nom comme artiste de rue et s’est bâti une solide réputation aux danses et soirées autour de la Caroline du Sud, avec ses marches de John Philip Sousa, ses pièces de piano de Scott Joplin jouées à la guitare, et ses pièces gospel et de blues. En 1935, un gérant de magasin connu pour venir en aide aux artistes locaux a fit connaître Davis et plusieurs autres artistes à la American Record Company. Les enregistrements subséquents ont marqué le début de la carrière de Davis.

En 1940, Davis est déménagé à New York où il a continué à travailler comme musicien de rue jusqu’à ses enregistrements suivants en 1956. Ces enregistrements lui ont valu beaucoup d’attention et il fut redécouvert par les revivalistes folk du début des années 1960. Ont suivi d’autres enregistrements, une grande popularité sur le circuit folk et des tournées à travers les É-U et l’Europe, propageant son message gospel et envoûtant son public avec sa voix puissante et intense et la virtuosité de sa guitare.

À New York, les guitaristes ont commencé à fréquenter l’appartement de Davis pour des leçons, y compris Dave Van Ronk, Stefan Grossman, Bob Weir (plus tard du Grateful Dead) et Jorma Kaukonen (plus tard du Jefferson Airplane). Comme plusieurs des bluesmen redécouverts à ce temps, le révérend a joué au Festival folk de Newport. Peter, Paul and Mary ont enregistré sa version de « Samson and Delilah », aussi connu comme « If I Had My Way », une pièce de Blind Willie Johnson que Davis avait popularisée. « Samson and Delilah » a été repris par le Grateful Dead, qui ont aussi fait un malheur avec un des grands chefs-d’oeuvre de Davis, « Death Don’t Have No Mercy. » Eric Von Schmidt a crédité Davis pour la majorité de sa pièce « Baby Let Me Follow You Down », repris par Bob Dylan sur son premier disque.

J’ai été très chanceux de grandir quand le renouveau folk a pris l’Amérique du Nord d’assaut. J’aimais tout à propos de cette musique. Quoique j’ai commencé à jouer de la guitare en 1963, j’ai dû attendre jusqu’en 1969 avant de pouvoir m’acheter ma première guitare acoustique. Pendant les six prochaines années, j’ai tenté d’apprendre l’instrument mais tout était difficile à l’époque. Même accorder la guitare représentait un problème – le seul outil d’accordement était le diapason et on en vendait certainement pas à Rockland! De toute façon, le diapason aidait à accorder une seule corde. Maintenant, les accordeurs numériques peuvent parfaitement accorder toutes les cordes de n’importe quel instrument.

Je me souviens des frustrations d’apprendre la guitare à partir des enregistrements – puisque ma guitare était accordée à l’oreille, j’avais de la misère à trouver le bon ton et les notes des grands joueurs de l’époque semblaient voler vers moi de tout sens. Et il y avait aussi des guitaristes nouvelle vague comme Bert Jansch, qui accordaient leurs guitares en accords exotiques avec des notes que je ne pouvais pas trouver sur ma guitare! J’ai été sauvé quand j’ai vu une pub à l’endos d’une bande dessinée me disant d’écrire à la Stefan Grossman Guitar Workshop à New York pour un catalogue gratuit de ses cahiers de leçons de guitare. J’ai commencé à collectionner les cahiers de Grossman, toujours écrits en tablature, une représentation en images des six cordes de la guitare avec des chiffres sur les lignes des cordes qui indiquaient à quelle frette jouer la corde. Pour un jeune comme moi, qui n’a jamais pu se permettre de payer pour de l’instruction conventionnelle en musique, la tablature était une bénédiction. Stefan Grossman et son Guitar Workshop a nourri les aspirations d’innombrables guitaristes qui voulaient apprendre le style « fingerpicking. » Le Workshop est toujours actif et offre maintenant des vidéos des grands maîtres du temps. Je suis toujours un client.

Le révérend Gary Davis a appris « Candyman » vers 1905 mais il chantait rarement les paroles, les trouvant profanes. Pour ma part, je refuse de m’abaisser en chantant le verset « Big Leg Ida. » Les notes basses en fingerpicking sont jouées par le pouce, invariablement de la tonique basse à la dominante ou l’octave de la tonique plus haut dans la gamme. Davis jouait « Candyman » de façon inverse, de la dominante haute à la tonique basse, probablement pour confondre ses étudiants! C’est un renversement subtil qui porte facilement à la maladresse et la majorité des guitaristes jouent la pièce de la façon plus convenable. Par respect (et par préférence), je joue « Candyman » à la façon prévue par le révérend.

Certaines personnes sont mal à l’aise avec la référence dans la chanson à un pusher de drogue (candyman) mais cette pièce nous vient d’un ère où les drogues n’était pas réglementées. Au début du 20e siècle, on pouvait facilement se procurer de l’opium sous forme liquide appelée laudanum, largement prescrite pour tout, des crampes menstruelles à l’hystérie et la dépression. On trouvait de la cocaïne dans maintes formes à presque toutes les fonctions de la haute société et elle était la drogue de choix de Sigmund Freud et du pape Léo XIII, entres autres. C’est toujours sage de ne pas juger une époque révolue avec des yeux contemporains.

Ma guitare Godin Seagull

Ma guitare Godin Seagull


Un des premiers disques que j’ai acheté était une collection de pièces du révérend Gary Davis où il jouait « Cincinnati Flow Rag. » Le révérend a enregistré cette pièce une douzaine de fois et ne la jouait jamais deux fois de la même façon. La disque que j’avais est disparu depuis longtemps et je n’arrive pas à trouver cette version particulière de « Cincinnati Flow Rag » mais elle est inoubliable, avec ses cris de champ. Je la joue comme je m’en souviens.

Pour faire cet enregistrement, j’ai choisi ma Godin Seagull, une guitare faite à la main à La Patrie, Québec.

 

Richard Séguin – voix et guitare acoustique

 

Candyman + Cincinnati Flow Rag

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« Miss the Mississippi and You » de Jimmie Rodgers

Jimmie Rodgers (1897 – 1933) est né à Meridian au Mississippi et, dès le départ, il était un rebelle agité. À l’âge de 13 ans, il avait démontré une affinité pour le divertissement du public en organisant deux spectacles itinérants, et en étant ramené à la maison deux fois par son père. Un contremaître pour le chemin de fer Mobile et Ohio, son père a vite trouvé un emploi pour Jimmie, comme garçon de l’eau pour le chemin de fer, une position qui lui permettait de rencontrer les travailleurs afro-américains qui posaient et entretenaient la voie ferrée, et d’entendre leurs chansons de travail. Il a aussi appris à jouer de la guitare des vagabonds qui traversaient l’Amérique sur les trains de marchandise. Éventuellement, Rodgers a travaillé comme freineur et plus tard fut connu comme le freineur chantant, arrivant à ses spectacles en plein costume de freineur, de la salopette à la casquette.

En 1924, Rodgers a été diagnostiqué de la tuberculose, une maladie incurable à l’époque. Les docteurs lui ont prescrit du repos mais, même si la maladie avait mis fin à sa carrière d’employé de voie ferrée, il est revenu à l’industrie du divertissement, organisant des spectacles itinérants qui jouaient à travers le Sud des États-Unis. C’est alors qu’un miracle s ‘est produit.

La Victor Talking Machine Company (par après RCA Victor) a développé une enregistreuse portable (elle pesait plus de 300 livres!) et, en 1927, s’est rendue à Bristol, au Tennessee, pour enregistrer la musique des américains ordinaires. Le Sud des États-Unis était pauvre, rural, mais riche en tradition tandis que le Nord était urbain et industriel. Les enregistrements, connus comme les sessions Bristol, ont produit de la musique de cultures fort différentes – cajun, mexicaine, hawaïenne, appalachienne, amérindienne et le blues, de la musique qui existait dans l’ignorance du reste du pays.

Les deux grandes vedettes issues des sessions Bristol furent la famille Carter et Jimmie Rodgers. Ils étaient uniques de leur propre façon – Jimmie Rodgers était né pour divertir et vivait pour ses fans tandis que la famille Carter jouait des chansons qui durent encore à ce jour. La famille Carter s’est aussi faite aimer auprès du public en étant comme eux – par exemple, dans le milieu de la Grande Dépression, les Carter chargeaient 15 sous pour un de leurs concerts mais l’entrée était toujours gratis pour les veuves et les orphelins.

Même si l’enregistrement commercial de la musique américaine a débuté en 1922, tout revenu de ventes de disques était presque impossible puisque la radio était devenue virtuellement universelle. Certainement, l’économie et la Grande Dépression ont mis fin à plusieurs carrières en musique. Malgré tout, les enregistrements de Jimmie Rodgers en 1927 ont connu un grand succès, cédant deux chansons pour lesquelles il fut payé 100 $, beaucoup d’argent à cette époque. De ce petit pas d’avant, Rodgers s’est bâtit une carrière qui s’est emparée du cœur de l’Amérique. Il fut le premier artiste américain à prendre de l’importance grâce à ses enregistrements. Ses spectacles étaient également populaires et présentaient un mélange d’influences musicales, du blues qu’il avait entendu des travailleurs de la voie ferrée, au yodel, qu’il avait entendu pour la première fois d’une troupe suisse. Son yodel est devenu si populaire que Rodgers a composé 13 « blue yodels » numérotés, les plus fameux étant « Blue Yodel No 1 » (T For Texas), « Blue Yodel No 8 » (Mule Skinner Blues) et « Blue Yodel No 9 » (Standin’ on the Corner), qu’il a enregistré avec Louis Armstrong à la trompette et l’épouse d’Armstrong, Lil, au piano. Bientôt, les gens se sont mis à appeler Rodgers le « blue yodeler. » Ses pieces « blue yodels » furent enregistrées par la suite par des artistes comme Bob Wills, Merle Haggard, Johnnie Cash, Bill Munroe, Waylon Jennings et Jerry Garcia.

Les avant-derniers enregistrements de Rodgers ont eu lieu en 1932, aux studios Camden, au New Jersey, d’où je prends la ballade triste « Miss the Mississippi and You. » Par ce temps, la tuberculose avait commencé à le défaire. Ce n’était pas dans sa nature de demeurer au repos et ses tournées et ses enregistrements diminuaient ses chances de récupération. Pour ses derniers enregistrements à New York, il était si affaibli par sa maladie qu’il était accompagné par un infirmier. Rodgers crachait du sang et devait se reposer sur un lit de camp entre les chansons. Jimmie Rodgers est décédé en 1933, deux jours après son dernier enregistrement, laissant une femme et une fillette dans le deuil. Une autre de ses filles, June, est décédé en 1923 à l’âge de 6 mois. Jimmie Rodgers avait 35 ans au moment de sa mort et il représentait 10% de toutes les ventes de disques pour RCA Victor, et ça dans un marché drastiquement réduit par la Grande Dépression.

 

Richard Séguin – voix, guitare acoustique, mandoline

 

Miss The Mississippi And You

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« Spike Driver’s Blues » de Mississippi John Hurt

Mississippi John Hurt (1893-1966) est né à Teoc mais a grandi à Avalon, au Mississippi, où il a vécu presque toute sa vie, travaillant comme fermier et ouvrier agricole. Il a appris la guitare à 9 ans, jouant pour des fêtes et des danses sur des guitares empruntées (comme moi!). Il a refusé une invitation de se joindre à un show de médecine itinérant parce ce qu’il ne voulait pas quitter Avalon. Une association avec le violoneux Willie Narmour a mené à des premiers enregistrements à Memphis pour Okeh Records en 1928, mais c’était le temps de la Grande Dépression – les ventes d’enregistrements étaient faibles et Okeh a fait faillite peu de temps après.

Mississippi John est retourné à Avalon dans l’anonymat, pour vivre sa vie « ordinaire. » Toutefois, ses enregistrements de 1928 furent réédités en 1952, générant un nouvel intérêt à le localiser. Le musicologue Dick Spottwood a finalement trouvé la cabane de Hurt en 1963, le convaincant de jouer à nouveau. Mississippi John n’était pas confortable avec l’idée mais il s’est présenté au festival folk de Newport en 1963, où il fut acclamé de toutes parts. Par après, il a joué dans plusieurs collèges, salles de concert et cafés, apparaissant même au Tonight Show avec Johnny Carson. À sa mort en 1966, Mississippi John Hurt avait influencé d’innombrables guitaristes de plusieurs disciplines musicales différentes. Un homme effacé, sa nature était reflétée dans sa musique, le faisant une des figures les plus aimées du renouveau folk des années 1960.

J’ai vu et entendu Mississippi John Hurt pour la première fois sur une rediffusion par la CBC du show Rainbow Quest, un programme américain en noir et blanc, présenté par Pete Seeger et mettant en vedette des performances improvisées par les meilleurs artistes de la musique folk, traditionnelle, bluegrass et blues. Le moment a véritablement changé ma vie. Vivant dans une petite communauté rurale de l’Est ontarien et tentant d’apprendre à jouer de la guitare, je n’avais jamais entendu quelqu’un jouer et chanter aussi bien que John Hurt. Son style « finger-picking », si naturel pour lui et si inconnu pour moi, m’a complètement séduit. Il avait pris pour moi la figure d’un grand-père, certainement la plus importante influence musicale de ma vie. J’ai passé le reste de ma vie à tenter de jouer comme Mississippi John.

J’ai commencé à travailler à l’âge de 19 ans et, après 6 ans de guitares empruntées, j’ai pu finalement acheter ma première guitare acoustique, une Gibson J-45 qui appartient maintenant à Roch Tassé. À l’époque, je me souviens que j’avais des pièces « feu vert » et des pièces « feu rouge » en tant que difficulté et que « Spike Driver’s Blues » était au sommet des pièces « feu rouge. »

Pour m’entendre jouer la Gibson J-45 de Roch, cliquez ici.

« Spike Driver’s Blues » nous parle de John Henry, un héro folklorique afro-américain qui travaillait comme un « steel driver », un homme chargé du martelage de mèches d’acier dans le roc pour créer des trous pour les explosifs qui foudroyaient le roc pour créer les tunnels dans la construction des chemins de fer. Selon la légende, John Henry s’est mesuré dans une course contre une machine à vapeur pour forer le roc. John Henry a gagné la course mais y a laissé sa vie, son marteau de forgeron en main, son cœur déchiré. Plusieurs sites ont été suggérés comme le lieu de cette course, y compris le tunnel Big Bend en Virginie de l’ouest, le tunnel Lewis en Virginie et le tunnel de la montagne Coosa en Alabama.

L’histoire de John Henry se raconte dans des chansons populaires en différentes versions et aussi dans maintes histoires, pièces de théâtre, livres et romans. La version de « Spike Driver’s Blues » que Mississippi John Hurt joue nous vient des pénitenciers et des équipes de travail forcé (chain gang), les paroles tirées de plusieurs sources.

 

Richard Séguin – voix, guitare acoustique
La percussion est tirée d’échantillons et d’enregistrements originaux de Roch Tassé

 

Spike Driver’s Blues

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« If I Had a Boat » de Lyle Lovett

La première chose qu’on doit savoir de Lyle Lovett est qu’il vient du Texas. Les gens du Texas ne sont pas comme les autres. Lovett a même écrit une chanson à cet effet, intitulée « That’s Right, You’re Not From Texas. »

Plusieurs des grands de la musique country, tels Willie Nelson, Merle Haggard et Waylon Jennings, n’ont pas pu endurer les conventions de Nashville et sont déménagés au Texas et en Californie où leurs chansons sont devenues connues sous le nom « Outlaw » country. Lyle Lovett est en plein dans cette catégorie.

Lovett est né à Houston, au Texas, en 1957 et a commencé à composer des chansons après avoir fréquenté l’Université du Texas A & M vers la fin des années 70. Il a continué à composer et à jouer lorsqu’il étudiait à l’étranger, en Allemagne. De retour aux É.U., il a jouer tous les clubs du Texas et en 1984, une cassette démo de ses chansons s’est retrouvée chez MCA Records. Ils ont immédiatement mis Lovett sous contrat et ont publié son prenier disque en 1986, qui a reçu des éloges universels. Depuis, il a publié plus de douze disques et il a joué dans plusieurs films, dont cinq du grand et regretté réalisateur Robert Altman. Bien qu’associée au genre country, sa musique se fusionne souvent avec le folk, le swing, le blues, le jazz, le gospel et même le big band. Lovett a gagné quatre prix Grammy.

La meilleure introduction pour sa composition « If I Had a Boat » nous vient de la Bible, Corinthiens 13:11:

Lorsque j’étais enfant, je parlais comme un enfant, je pensais comme un enfant, je raisonnais comme un enfant; lorsque je suis devenu homme, j’ai fait disparaître ce qui était de l’enfant.

« If I Had a Boat » est composée du point de vue de l’enfant et nous décrit un monde insulaire de héros (Roy Rogers), d’aventure (le Lone Ranger et Tonto), d’imagination (se déplacer avec la vitesse de l’éclair), et de fantaisie (posséder un poney et un bateau), le tout dans le langage insouciant et humoristique de l’enfant. La pièce est aussi troublante et sombre puisque l’adulte qui l’écoute sent que, dans les ombres du monde parfait de l’enfant, se cache le temps, le tueur de l’enfance. Dans l’esprit de l’enfant, il aspire à s’échapper du monde adulte en s’évadant sur l’océan avec son poney sur son bateau (dont il possède ni un ni l’autre). Une superbe et poignante chanson du long et impressionnant répertoire de Lyle Lovett.

Richard Séguin – voix, guitare acoustique, mandoline, guitare électrique, contrebasse électrique

If I Had a Boat

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« Death Letter » de Son House

Eddie James « Son » House, Jr. (1902 – 1988) fut, à différents temps de sa vie, un diacre baptiste et un artiste du delta blues. Cette rencontre du sacré et du profane, du séculier et du spirituel, a fait de Son House un guitariste fiévreux et intense avec une voix à la fois puissante et déchaînée.

Quant il était jeune adolescent, la famille de Son House a déménagé du Mississippi à Algiers, en Nouvelle-Orléans. En parlant de ces années, il mentionne sa haine pour le blues et sa passion pour l’Église. À quinze ans, il a commencé à prêcher des sermons, en premier pour l’Église baptiste et ensuite pour l’Église méthodiste et épiscopale pour personnes de couleur. Par contre, il a cultivé des habitudes en conflit avec sa vocation, tel la boisson (comme son père) et la poursuite du jupon. Ceci l’a mené, après tant d’années d’hostilité envers la musique séculaire, à quitter l’Église et se tourner vers le blues à l’âge de vingt-cinq ans. Il a vite développé un style unique en mettant en application le drive rythmique, la puissance vocale et l’intensité émotive du sermon à sa locution du blues.

En 1928, Son House jouait dans un « juke joint » quand un homme a commencé une fusillade, blessant House à la jambe. House a retourné feu, tuant l’homme en légitime défense mais il fut reconnu coupable d’homicide involontaire, recevant une peine de quinze ans au pénitencier de Mississippi State (Parchman Farm), servant deux ans. À sa libération, le bluesman Charley Patton l’a invité à partager des engagements et à l’accompagner pour des enregistrements pour Paramount Records en 1930. Publiés au début de la Grande Dépression, les disques ne se sont pas vendus et House est demeuré inconnu à l’échelle nationale. Par contre, il était très populaire dans la région et, accompagné de Willie Brown, un associé de Patton, il est devenu un grand interprète régional et une influence formative sur Robert Johnson et Muddy Waters. En 1941 et 1942, il fut enregistré par le grand ethnomusicologue américain Alan Lomax. L’année suivante, il a quitté le delta du Mississippi pour Rochester, New York et a abandonné la musique.

On a « redécouvert » Son House à Rochester en 1964 et il était complètement ignorant du renouveau folk et blues des années 1960 et de l’enthousiasme international pour ses premiers enregistrements. Il a subséquemment fait la tournée des États-Unis et de l’Europe et a repris ses enregistrements. Comme Mississippi John Hurt, il a été accueilli à bras ouverts par la scène musicale, jouant au prestigieux festival folk de Newport en 1964, le festival folk de New York en 1965 et dans la tournée européenne du American Folk Festival en 1967, aux côtés de certains des meilleurs bluesmen, tel Skip James et Bukka White.

House fut tourmenté dans ses dernières années par une bien mauvaise santé et en 1974, il a dû prendre sa retraite pour de bon. Il est déménagé à Détroit, au Michigan, où il est demeuré jusqu’à sa mort du cancer du larynx en 1988. Il fut enterré au cimetière Mt. Hazel et des membres du Detroit Blues Society ont recueilli assez d’argent par des concerts bénéfice pour mettre un monument sur sa tombe.

Quand j’ai vu Son House jouer « Death Letter » sur un des programmes télévisés sur le renouveau folk à la fin des années 60, ça m’a marqué pour la vie. Là, le séculaire et le spirituel entraient en collision et déclenchaient une des plus mémorables performances de l’histoire du blues. House joue sa guitare à résonateur avec un tuyau de cuivre comme slide, sa main droite encerclant et martelant les cordes. Sa voix est celle d’un prédicateur dans sa chaire. Sa performance est, pour moi, la preuve de l’existence de Dieu et, fort probable, celle du Diable aussi. Voici le lien pour voir cette vidéo :

https://www.youtube.com/watch?v=NdgrQoZHnNY

Alrick Huebener

Tout à fait à part de cette performance remarquable sont les paroles. À un temps où la musique pop était tout fleurs et soleil, Son House parlait de la mort, d’un corps sur une planche pour les préparations d’enterrement, de la vue du corps, du cimetière plein de monde et de la descente lente du cercueil dans la tombe. Ce fut mon destin de connaître ces choses à un jeune âge et ma performance de « Death Letter » est certainement psychothérapeutique.

Les « lettres d’avis de décès » (death letters) sont un service offert par les administrations postales de la plupart des pays pour aider aux familles en deuil à communiquer la mort d’un proche au public. Typiquement, les lettres sont pré-imprimées avec les sentiments appropriés et ont une bordure noire, tout comme l’envelope utilisée.

Roch Tassé


Je suis très chanceux de pouvoir compter sur le support musical d’Alrick Huebener et de Roch Tassé, deux des meilleurs musiciens de la vallée des Outaouais.

 

Richard Séguin – voix, guitares électriques
Alrick Huebener – contrebasse acoustique
Roch Tassé – batterie

 

Death Letter

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