« France Chance » de Joe Callicott

Il est difficile d’accepter qu’un grand bluesman comme Joe Callicott ait vécu toute sa vie dans une obscurité presque totale. Sa date de naissance est inconnue, tout comme son âge quand il est mort en 1969. Il est né et a vécu toute sa vie dans la petite ville de Nesbit, Mississippi. Probablement illettré, il n’a donné aucune interview connue de sa vie, n’a écrit aucune lettre ou carte postale. Il a épousé une femme et est resté avec elle pendant 52 ans, jusqu’à sa mort. Il a travaillé dans le même milieu de travail pendant 38 ans.

Dans les années 1920, Joe Callicott a rencontré Garfield Akers (circa 1902-1959), dont on sait encore moins, et ils sont devenus des amis et des partenaires à vie, jouant tour à tour de rôle de première et deuxième guitare pendant qu’ils chantaient à des fêtes, des soupers de poisson et divers événements sociaux. En 1929, Callicott a apparu pour la première fois sur quatre disques 78 tours, jouant de la deuxième guitare pour Akers. Les deux hommes furent ammenés à Memphis par Jim Jackson (1876-1933), déjà une star de l’enregistrement, un résident de Hernando et voisin de Callicott. En 1930, Callicott a aussi enregistré deux titres avec Jim Jackson.

Garfield Akers a également fait une tournée avec Frank Stokes et le Doc Watts Medicine Show et fut actif sur le circuit sud de Memphis tout au long des années 1930. Aucune photo d’Akers n’existe. Il vivait à Hernando, Mississippi, la communauté qui nous a aussi donné plusieurs grands bluesmen comme Jim Jackson, George « Mojo » Buford, Frank Stokes et Robert Wilkins. Pour en savoir plus sur Frank Stokes et sa musique, cliquez ici. Pour en savoir plus sur Robert Wilkins et sa musique, cliquez ici.

Pendant 38 ans, Joe Calicott a travaillé pour PEMCO Aviation, une entreprise spécialisée dans les services de transport de passagers et de marchandises. Il n’était pas instruit et son travail consistait probablement à s’occuper des marchandises, peut-être à titre de gardien ou de concierge. Son salaire était certainement faible puisque Joe et sa femme Sue Parrish Callicott (aucune donnée disponible) vivaient dans une pauvreté abjecte dans une cabane qu’un chien aurait pensé deux fois avant d’entrer. Ils ont eu un fils, Jeff.

Callicott abandonna presque complètement la guitare en 1959, l’année de la mort de Garfield Akers, mais l’a reprit au milieu des années 1960 pour son propre plaisir. En 1967, le documentariste de blues George Mitchell a rencontré Callicott et a enregistré onze titres avec ce musicien alors ralenti, mais toujours magnifique. Ces pièces feront plus tard surface dans l’album de 2003 « Ain’t A Gonna Lie To You ». Juste avant sa mort, en 1969, Callicott a été le mentor de Kenny Brown (né en 1953), un garçon blanc de 12 ans qui a quitté l’école pour apprendre la guitare de ce modeste maître qui vivait juste en bas de la rue. Kenny Brown a par la suite connu une bonne carrière en tant que guitariste et artiste.

Joe Callicott est enterré dans le cimetière de l’église baptiste Mount Olive à Nesbit, Mississippi. Le 29 avril 1995, une pierre tombale commémorative a été placée sur sa tombe par le Mt. Zion Memorial Fund, une organisation qui commémore les contributions de nombreux musiciens du delta du Mississippi enterrés dans des cimetières ruraux sans marqueurs funéraires. Ce dernier hommage à Joe Callicott a été soutenu par Kenny Brown et financé par Chris Strachwitz d’Arhoolie Records et par John Fogerty, du groupe rock Creedence Clearwater Revival. Le marqueur original de Callicott, une pierre de pavé simple où se lisait simplement « JOE », a par la suite été donné par sa famille au Delta Blues Museum à Clarksdale, Mississippi. Lors de la cérémonie, le Mt. Zion Memorial Fund a remis à Sue, la femme de Callicott, un chèque d’Arhoolie Records pour les redevances obtenues d’un CD réédité des œuvres enregistrées de Callicott.

J’ai choisi de jouer « France Chance », un blues intransigeant de Callicott et étrange à bien des égards. Le titre provient d’un schéma de rimes utilisé dans les paroles. La structure est également étrange puisque Callicott commence à chanter sur l’accord IV, tandis que le chant pour presque toutes les chansons de blues jamais écrites commence sur l’accord I. Certaines des paroles peuvent être cryptiques. « Fair brown » est un terme affectueux, c.-à-d. une belle femme à la peau brune. « Brand new stream » désigne une remorque Airstream, une merveille haut de gamme en acier inoxydable qui ressemble à une balle! Les meilleures paroles de blues sont celles qui sont aussi simples que profondes, parfaitement évoquées avec brio par Callicott dans :

I kmow my doggie when I hear him bark
I know my baby when I feel in the dark

Il n’y a pas mieux que ça.

Richard Séguin – voix, guitare acoustique, percussion

France Chance

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« The Heart of Saturday Night » de Tom Waits

Pour tous les compas du monde, il n’y a qu’une seule direction, et le temps est sa seule mesure. 

Tom Stoppard, Rosencrantz and Guildenstern Are Dead

En 1974, au début de sa longue et fructueuse carrière, Tom Waits a publié une chanson sentimentale et nostalgique intitulée « The Heart of Saturday Night. » Elle renfermait dans une capsule temporelle le début des années 1970 et immortalisait cette époque où je suis devenu un jeune homme, vivant dans un petit village rural francophone de l’est de l’Ontario.

À l’époque, mon temps était mesuré en semaines. Pas en heures, en jours, en mois ou en années, juste une succession apparemment infinie de semaines. Je travaillais cinq jours par semaine, plus de 70% de mon temps sur cette terre, essayant d’acquérir le cours légal qui me permettrait de fonctionner dans notre société capitaliste. Je dépensais beaucoup de temps à me rendre à Ottawa et à en revenir, à lutter contre la circulation, à me dépêcher à travers de mes repas et à essayer de dormir suffisamment pour me rendre à la fin de semaine, où le temps m’appartiendrait finalement.

L'Église Très-Sainte-Trinité de Rockland

L’Église Très-Sainte-Trinité de Rockland

Les dimanches à l’époque étaient différents de ce qu’ils sont maintenant. La plupart des entreprises étaient fermées et tout était silencieux et étouffé dans le village. Les familles passaient du temps ensemble, à l’église ou autour d’une table et d’un bon repas familial. La « révolution tranqille » n’avait pas complètement effacé nos valeurs religieuses et les gens n’étaient pas encore devenus les consommateurs ternes qu’ils sont maintenant. Tu lisais un livre, tu te promenais, tu appelais un ami, et tu te préparais pour la semaine difficile qui se montrait toujours à l’horizon.

Mais il y avait toujours le samedi, un jour qui se distinguait de tous les autres jours de la semaine. Si tu avais une blonde, vous sortiez. Si tu en n’avais pas, tu allais aux endroits où les filles se réunissaient, invariablement une sorte de salle de danse. Pour moi, c’était le deuxième étage de l’aréna de Clarence Creek, où un disc-jockey jouait la merveilleuse musique R&B qui sortait de Stax Records à Memphis, avec des artistes comme Otis Redding, Booker T. and The MG’s, Wilson Pickett, Albert King, les Staple Singers, Rufus Thomas et sa fille exceptionnelle, Carla Thomas.

La Légion

La Légion

À Rockland, des groupes d’Ottawa venaient parfois jouer à la salle principale de la Légion. Les jeunes locaux avaient aussi développé leurs propres lieux de rencontre, comme La Chandelle au sous-sol de l’église, qui accueillait aussi des groupes d’Ottawa. En face de l’église, un ancien bâtiment qui avait servi d’Hôtel de Ville, bureau du greffier et prison municipale
La Bastille, avec l'ancien aréna à droite

La Bastille, avec l’ancien aréna à droite

avait également été transformé en un havre de jeunesse appelé La Bastille. À l’est de la ville, La Ste-Famille, l’ancienne école primaire, est devenue un centre culturel dynamique qui offrait des activités artistiques pour petits et grands. Mon plus beau souvenir de cette période est de voir toute la ville se réunir pour produire mon premier disque – nous sommes allés à Montréal pour l’enregistrer, nous avons fait imprimer 1 000 copies vinyles à Ottawa et la couverture de l’album a été conçue à La Ste-Famille. Les gens ont coupé et sérigraphié de la jute et les dames du village ont offert leurs soirées, travaillant aux machines à coudre pour produire les sacs de jute dans lesquels mon premier album a été vendu. C’était un projet communautaire. J’étais tellement fier de ma ville et de ses gens merveilleux.
La Ste-Famille

La Ste-Famille


Rockland avait du caractère à l’époque et n’était pas le dortoir des fonctionnaires qu’elle est devenue. Il y avait des
St-Jacques avec la mercerie Lafleur à droite

St-Jacques avec la mercerie Lafleur à droite

attractions de petite ville, comme le théâtre Cartier géré par la famille Béland. Le théâtre montrait deux films différents à chaque semaine, un du lundi au jeudi, et un la fin de semaine, en plus des attractions à venir, des courts métrages en série et, bien sûr, des dessins animés. Il y avait aussi la salle de billard sur la rue principale de Rockland, gérée par la famille St-Jacques. Comme la mercerie Lafleur avoisinante, un magasin de deuxième génération, la salle de billard avait de hauts plafonds en étain et de magnifiques murs et planchers en bois franc, avec un parfum sans pareil. Quand il était adolescent, mon père allait voir des films muets qui étaient projetés à
Le Castel

Le Castel

l’arrière de la salle principale chez St-Jacques, surtout quand ils avaient un film de Charlie Chaplin, son favori. À la hauteur de l’Escale, notre école secondaire, il y avait sur la rue principale le restaurant Le Castel, qui était toujours rempli d’étudiants affamés. Les bancs autour des murs avaient tous un juke box à pièces avec les derniers succès.

J’ai joué dans quelques groupes de rock, d’abord avec mes bons amis Martin Cunningham, Pierre Lafleur et Roch Tassé. On s’appelait The Ravens. Pour en savoir plus sur The Ravens et pour nous entendre jouer « The Last Time » des Rolling Stones, cliquez ici. J’ai ensuite joué avec mon frère Robert et mon bon ami Tom Butterworth dans un groupe appelé The Trend. Plus tard, Tom et moi avons rejoint un groupe avec le chanteur local André « Gus » Gosselin. Il y avait aussi un groupe populaire appelé The Elusive Butterflies (à la mode de l’époque) qui mettait en vedette le guitariste local Denis Bergeron et le chanteur Don Boudria, qui est plus tard devenu le député de Glengarry-Prescott-Russell dans le gouvernement de Jean Chrétien. J’ai aussi beaucoup appris en regardant deux guitaristes d’élite de Rockland, Denis Tessier et Gaëtan « Pete » Danis. Pete a ensuite joué pour les chanteurs country populaires Bob et Marie King et Pierre Lafleur et moi ont suivi Pete partout où il jouait, principalement dans les hôtels de Buckingham (Qc) et de Bourget (Ont).

Alrick Huebener

Alrick Huebener


Tous les endroits que j’ai mentionnés ont disparu maintenant, bien que La Ste-Famille demeure toujours comme le musée de Clarence-Rockland. La population de la ville a triplé mais il n’y a plus d’attractions, plus de sanctuaires pour les jeunes. « The Heart of Saturday Night » de Tom Waits est en effet insaisissable et plus qu’un peu nostalgique maintenant. Je joue la pièce accompagné d’Alrick Huebener, un superbe contrebassiste d’Ottawa qui m’est souvent venu en aide sur mes enregistrements. Je dois aussi sousligner l’aide de Gilles Chartrand, l’infatiguable curateur du Musée de Clarence-Rockland, pour les vieilles photos de notre village.

Richard Séguin – voix, guitare acoustique
Alrick Huebener – upright bass

The Heart of Saturday Night

Photo d’Alrick par Kate Morgan

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« Downtown Blues » des Beale Street Sheiks

J’ai découvert la ville de Memphis, Tennessee, à un très jeune âge. Le classique « Memphis, Tennessee » (1959) de Chuck Berry a été l’une des nombreuses chansons que j’aimais quand j’étais garçon. À partir des années 1960, la musique R&B issue de Stax Records à Memphis a eu une influence majeure sur mon développement comme musicien. Elvis Presley, un gars de la campagne de Tupelo, Mississippi, a fait de Memphis le lieu de sa demeure et aussi de son palais, Graceland. Le nom Memphis est principalement un nom d’origine grecque qui signifie « établi et beau. » Après la guerre de Sécession, Memphis est devenu le creuset des pionniers du blues, de la musique country, des chansons folkloriques, des jigs et du vaudeville, d’où émerge une grande partie de la musique populaire américaine moderne.

En 1926-1927, les maisons de disques, ayant trouvé de riches récoltes de musique ancienne en Géorgie, en Caroline du Nord et en Virginie, commencèrent à chercher plus loin en Arkansas, au Mississippi et au Tennessee. Laissées un peu sur leur faim, les maisons de disques Victor et Okeh dépêchèrent des équipes d’enregistrement dans la ville où il était le plus logique de réunir des musiciens de ces territoires : Memphis.

Beaucoup de ces musiciens travaillaient dans l’obscurité complète. Les communications entre n’importe quelle région et le reste du pays étaient rares, sinon inexistantes. Si les maisons de disques n’étaient pas venues découvrir ces musiciens, le paysage musical dynamique de l’Amérique qui a émergé dans les « années folles » des 1920 ne se serait peut-être pas matérialisé.

De la communauté d’artistes de Memphis sont sortis les jug bands, qui étaient pour moi l’une des plus grandes réalisations artistiques du XXe siècle. Les musiciens qui les formaient étaient pauvres mais talentueux, imaginatifs et motivés. Parce qu’ils jouaient sur les guitares, les harmonicas, les banjos et les violons les moins chers qu’ils pouvaient trouver, un bon nombre de leurs instruments étaient aussi des articles ménagers ou d’autres « instruments » qu’ils ont eux-mêmes fabriqués. Tout particulièrement, ce sont les sons étranges de ces instruments qui ont distingués les jug bands. Avec une cruche vide, ils soufflaient à travers l’ouverture pour produire des résonances profondes, presque atonales. Ils attachaient 2 ou 3 cordes à un manche à balai relié à une boîte à cigare vide qui agissait comme résonateur et jouaient ainsi sur leur « guitare » improvisée. Les balais étaient également fixés à des cuves de lavage équipées d’une corde qui pouvait être jouée comme une contrebasse. Pendant qu’ils étaient dans la buanderie, ils ont pris une planche à laver et y ont joué des rythmes fous à l’aide d’un ouvre-bouteille. Ils ont créé des mélodies étranges en soufflant à travers du papier de soie plié autour des dents d’un peigne. La musique qu’ils créaient était captivante, toujours uptempo et joyeuse. Rien n’était à leur épreuve.

Bon nombre des plus grands pionniers des premiers enregistrements commerciaux de musique « roots » ont été négligés, trompés ou laissés dans l’obscurité au fil des décennies. C’est le cas de Frank Stokes, le bluesman à la voix puissante qui est maintenant considéré comme le père du style de guitare blues de Memphis et dont l’important héritage n’est que maintenant pleinement apprécié. Frank Stokes (1878-1955) est né dans le comté de Shelby, Tennessee. La date exacte de sa naissance varie. Orphelin comme enfant, Stokes a été élevé à Tutwiler, Mississippi par le 2e époux de sa mère. Il apprit à jouer de la guitare dans sa jeunesse et s’installa plus tard à Hernando, dans le Mississippi, où vivait une communauté de musiciens comme Jim Jackson (1890-1937), qui dirigeait les Red Rose Minstrels, un spectacle itinérant de médecine; Dan Sane (1896-1956), qui formerait la moitié des Beale Street Sheiks avec Stokes; Gus Cannon (1893-1979) qui formerait Cannon’s Jug Stompers avec Elijah Avery (aucune donnée disponible) et Noah Lewis (1890-1961); Will Shade (1898-1966) qui dirigeait la Memphis Jug Band; et Robert Wilkins (1896-1987), un chanteur de gospel renommé. Pour en savoir plus sur Robert Wilkins et pour m’entendre jouer sa chanson « That’s No Way To Get Along », cliquez ici.

Au tournant du siècle, Frank Stokes travaillait comme forgeron, parcourant les 25 miles jusqu’à Memphis le week-end pour chanter et jouer de la guitare avec Dan Sane, avec qui il a formé un partenariat musical de longue date. Ensemble, ils jouaient dans les rues et dans le parc Church (maintenant W. C. Handy Park) sur la rue Beale à Memphis. Leur répertoire éclectique comprenait des chansons de parloir, des rags, des airs de ménestrel, des standards du country et du blues et des chansons populaires de l’époque. Contrairement au stéréotype du bluesman las et opprimé qui chante des chansons mélancoliques de chagrin et de perte, Frank Stokes a créé une musique vivante et amusante, souvent même drôle. C’était de la musique de fête qui transcendait les barrières de la race et de la classe et qui exigeait qu’on se lève pour danser.

En 1917, Stokes se joint au Doc Watts Medicine Show en tant que chanteur, danseur et comédien blackface. Le Medicine Show a permis à Stokes de collaborer avec de nombreux musiciens blancs, y compris la légende de la musique roots, Jimmy Rodgers. Rodgers a ensuite interprété certaines des chansons de Stokes, tandis que le « Yodeling Fiddle Blues » de Stokes est considéré comme un hommage à Rodgers.

Fatigué d’une vie sur la route, Stokes a déménagé à Oakville, au Tennessee, vers 1920 et retourna à sa vie de forgeron et de musicien. Il a encore fait équipe avec Dan Sane et les deux ont fait un rendez-vous populaire des soupers de poisson locaux, des bars, des pique-niques et des fêtes de maison. Au milieu des années 1920, le duo se joint à Jack Kelly’s Jug Busters, ce qui leur permet de jouer dans des clubs de country blancs, des fêtes et des danses. Peu après, Stokes et Sane sont retournés à Beale Street où ils ont commencé à jouer sous le nom des Beale Street Sheiks. À ce moment-là, le film muet de Rudolph Valentino « The Sheik » et la chanson à succès « The Sheik of Araby » avaient infiltrés le jargon américain et le mot « sheik » est devenu synonyme de « ladies man ». Je soupçonne que la prononciation de sheik (c.-à-d. shake) a aussi quelque chose à voir dans tout ça – les « Beale Street Shakes » est un nom puissant pour un groupe.

En août 1927, Stokes et Sane ont apporté leur musique de fête dans les rues et en studio, enregistrant le premier album des Beale Street Sheiks pour Paramount Records. Un critique a écrit : « L’interaction fluide de la guitare entre Stokes et Sane, combinée à un rythme propulsif, à des paroles pleines d’esprit et à la voix superbe de Stokes, rendent leurs enregistrements irrésistibles. »

En février 1928, les Sheiks enregistrent plusieurs pièces pour Victor Records à l’auditorium de Memphis, une session qui comprennait aussi le grand bluesman Furry Lewis. Des enregistrements ultérieurs pour Victor et Paramount ont parfois été publiés sous le nom de Frank Stokes, bien que Dan Shane y ait joué et que le personnel était le même que celui des Beale Street Sheiks. C’était un stratagème courant des maisons de disques de l’époque, qui créaient un certain nombre d’artistes « différents » simplement en changeant leurs noms. Ainsi, « Downtown Blues » a été publié sous le nom de Frank Stokes, bien que Dan Sane joue sur la pièce. Je ne suis pas lié à ces tactiques promotionnelles et j’identifie toutes les pièces de Sane et Stokes sous le nom des Beale Street Sheiks. « Downtown Blues » est un exemple classique de l’irrésistible musique de danse composée par Frank Stokes. De plus, en 1928, personne ne chantait comme lui mais, dans la période d’après-guerre, de plus en plus de chanteurs de R&B et de rock sonnaient clairement comme Stokes, démontrant sa grande influence sur notre musique contemporaine.

L’œuvre de Frank Stokes en fait l’un des artistes de Memphis les plus enregistrés de l’époque. Ses derniers enregistrements, réalisés en 1929, mettent en vedette le violoneux Will Batts (1904-1954) et comptent parmi les pièces les plus follement originales jamais enregistrées. Malheureusement, le pic de création de Stokes s’est produit pendant une période où l’intérêt du public pour la musique basée sur le blues avait commencé à décliner. Bien que sa carrière d’enregistrement ait pris fin, Stokes est resté un interprète très populaire. Tout au long des années 1930 et 1940, il a continué à impressionner le public avec son jeu de guitare et sa voix puissante, où il se produit comme membre de spectacles de médecine, au Ringling Brothers Circus et à d’autres spectacles itinérants. Dans les années 1940, Stokes a déménagé à Clarksdale, au Mississippi, un autre centre de blues traditionnel, et a joué occasionnellement avec son compatriote Bukka White (1906-1977). En 1955, Frank Stokes est décédé d’un accident vasculaire cérébral à Memphis, la ville dont il a contribué à définir l’héritage musical.

Alors que Frank Stokes est largement tombé dans l’obscurité dans les années qui ont suivi sa mort, le Mt. Zion Memorial Fund, un groupe voué à la restauration et à la dédicace de nouvelles pierres tombales pour les musiciens de blues du début du XXe siècle, a construit une pierre tombale en son honneur au cimetière New Park, à Memphis.

Richard Séguin – voix, guitare acoustique, mandoline, pied

Downtown Blues

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« Morning Blues » de l’oncle Dave Macon

J’ai entendu « Morning Blues » pour la première fois sur un disque du Jim Kweskin Jug Band à la fin des années 1960. Ils étaient un superbe groupe, un portail vers tant de grandes chansons du passé et ils leurs ont tous donné vie. « Morning Blues » nous vient d’un homme connu sous le nom de Uncle Dave Macon qui, dès son jeune âge, a été exposé au monde extravagant et merveilleux du divertissement, qu’il a embrassé pendant toute sa vie.

David Harrison Macon (1870-1952) était un artiste né. Il venait du comté de Warren, au Tennessee. mais quand il avait 13 ans, sa famille a déménagé à Nashville pour diriger l’hôtel Old Broadway. L’hôtel était fréquenté par des musiciens, des artistes de cirque et des acteurs voyageant le long des circuits de vaudeville, un attrait enivrant pour tout jeune homme.

En 1885, un comédien de cirque lui a appris à jouer du banjo. L’année suivante, le père de Macon fut assassiné à l’extérieur de l’hôtel Old Broadway. Sa mère veuve a vendu l’hôtel et la famille a déménagé à Readyville, au Tennessee, où elle a tenu une auberge de diligence. Macon a commencé à divertir les passagers à l’aire de repos, jouant son banjo sur une scène improvisée.

En 1889, Macon épousa Matilda Richardson et s’installa dans une ferme près de Kittrell, au Tennessee, où ils élevèrent six fils. Vers 1900, Macon ouvre une ligne de cargaison appelée The Macon Midway Mule and Mitchell Wagon Transportation Company. Le Mitchell Wagon est considéré comme l’un des plus anciens chariots en Amérique, ses débuts remontant jusqu’à 1834. Pendant que Macon conduisait ses mules et transportait de la cargaison et des produits, il divertissait les gens en chantant et en jouant du banjo à divers arrêts au long du chemin. Malheureusement, l’avènement de l’automobile a bientôt mis fin à toutes les entreprises basées sur la mule.

L’oncle Dave Macon a acquis une renommée régionale en tant qu’interprète de vaudeville au début des années 1920. Bien qu’il se soit longtemps produit en tant qu’amateur et était bien connu pour son art du spectacle, sa première performance professionnelle eut lieu dans une école locale en 1921, quand il avait 51 ans. Macon était un maître de la fantaisie musicale et son art de la scène était au cœur de ses performances. Il lançait son banjo en l’air au milieu d’une chanson et l’attrapait sans interrompre la musique. Avec son banjo planté sur le sol, Macon jouait l’instrument avec son chapeau Derby tout en dansant autour du banjo. L’oncle Dave était aussi bon ami avec le joueur d’harmonica DeFord Bailey (1899-1982), le premier homme noir à apparaître sur le Grand Ole Opry. Macon et Bailey ont joué et voyagé ensemble dans le Sud quand un homme blanc et un homme noir ne pouvaient pas facilement voyager ensemble en raison des lois Jim Crow. En 1923, Macon entreprend une tournée du sud-est des États-Unis en compagnie du violoneux Sid Harkreader (1898-1988). Lui et Harkreader ont fait leurs premiers enregistrements pour Vocalion à New York, donnant dix-huit chansons. Au début de 1927, Macon forme un groupe appelé les Fruit Jar Drinkers avec trois autres musiciens. Les Fruit Jar Drinkers ont enregistré pour la première fois en 1927 et le répertoire du groupe était principalement composé de chansons traditionnelles et de pièces de violon. Cependant, ils enregistrèrent occasionnellement des chansons religieuses, pour lesquelles l’oncle Dave changeait le nom du groupe en celui des Dixie Sacred Singers. À la fin de 1925, Macon rencontre le guitariste Sam McGee (1894-1975), qui deviendra son partenaire régulier pour l’enregistrement et la scène. Macon est soutenu par McGee pour son superbe enregistrement de « Morning Blues » en 1928. Mon arrangement comprend un couplet (No corn in the crib, etc.) tiré de la chanson de l’époque de la Dépression « Eleven Cent Cotton, Forty Cent Meat » que l’oncle Dave jouait souvent pendant ses spectacles.

Les enregistrements de l’oncle Dave Macon sont le pont ultime entre la musique folklorique et vaudeville américaine du XIXe siècle et la musique phonographique et radiophonique du début du XXe siècle. Il est devenu la première étoile du Grand Ole Opry de Nashville dans la seconde moitié des années 1920 et a continué à jouer jusqu’à ce qu’il meure en 1952 à l’âge de 81 ans. Il fut intronisé à titre posthume au Country Music Hall of Fame en 1966. Bien qu’il n’ait jamais été considéré comme un grand joueur de banjo, les historiens de la musique ont identifié au moins 19 styles de jeux différents dans ses disques.

Richard Séguin – voix, guitare acoustique, mandoline

Morning Blues

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« If You Don’t Want Me Baby » de Mississippi John Hurt

La vie de John Smith Hurt (1893-1966) était comme beaucoup d’autres dans le Mississippi rural au tournant du dernier siècle. Il a vécu à Avalon, un village endormi sur le bord du delta trop petit pour apparaître sur les cartes modernes. Il est devenu un fermier et métayer, comme beaucoup d’autres. S’il s’est démarqué de quelque sorte c’est en apprenant la guitare à l’âge de neuf ans. Andres Segovia a dit, en parlant du grand guitariste classique John Williams : « Dieu a posé un doigt sur son front. » Je crois que Dieu est ensuite passé à Avalon, au Mississippi.

En grandissant, John Hurt jouait pour des danses et des fêtes, chantant avec son magnifique style de doigté, issu d’une source commune qui avait produit à la fois le blues et la musique country. Il était un lien avec un passé lointain qui résonnait encore dans son jeu : pas blues, pas country et pourtant les deux. Sa pièce « If You Don’t Want Me Baby » que j’interprète ici, est un exemple classique de ce genre. Ses paroles sont aussi tellement attachantes, pleines d’intimité et de désir. Une simple phrase comme « I tried so hard to do my father’s will » dit clairement sans toutefois spécifier que le fils dévoué n’a pas réussi.

Sa musique a rendu Hurt populaire auprès des Mississippiens blancs et noirs. En 1923, il a rencontré un violoneux blanc du nom de Willie (William Thomas) Narmour (1889-1961) et ils devinrent une attraction locale populaire. En 1928, lorsque Narmour remporta un concours de violon et une chance d’enregistrer pour Okeh Records, il a recommandé John Hurt à ses producteurs. Après une audition, Hurt a enregistré deux sessions, à New York et à Memphis, qui ont donné 20 pièces, dont seulement quelques-unes ont été publiées. Les chansons sont parues sous le nom de Mississippi John Hurt. Hurt ne s’est jamais soucié de l’étiquette « Mississippi », que les producteurs blancs croyaient conférer de l’authenticité à l’artiste, de la même façon que la désignation « Blind » était censée ajouter du respect et de l’admiration à l’artiste. Les ventes de disques de John Hurt furent pauvres pendant la Grande Dépression et Okeh Records a fait faillite en 1935, bien que relancé un certain nombre de fois dans les années suivantes. John Hurt retourna dans l’obscurité de sa vie ordinaire à Avalon, au Mississippi.

En 1952, quelques-uns des premiers enregistrements de John Hurt furent inclus dans la Anthology of American Folk Music de Harry Smith, qui a suscité un intérêt considérable chez de nombreux amateurs de folk de New York. Dix ans plus tard, une véritable renaissance populaire a pris le dessus et de nombreux artistes du passé ont refait surface et ont joui d’une immense popularité au cours de leurs dernières années.

Armé du seul indice que Hurt avait laissé sur sa vie : une référence à « Avalon, my home town », dans une chanson appelée « Avalon Blues », deux musicologues blancs se rendirent au Mississippi à la recherche de son auteur. Ils ne s’attendaient pas à le trouver vivant. Avec beaucoup de difficulté, ils localisèrent la cabane de John Hurt. Agé de 69 ans, Hurt fut étonné que quelqu’un le cherchait. Il ne faisait pas confiance aux blancs en complets, toujours de mauvaises nouvelles à l’époque, et n’avait aucune envie de quitter sa ville natale. À la longue, les musicologues l’encouragèrent à déménager à Washington, D.C. et à se produire pour un public plus large. Sa performance au Festival folk de Newport en 1963 a fait monter son étoile auprès des puristes de la renaissance folklorique de l’époque. Un petit homme aux yeux larges et joyeux, Hurt fut introduit sur la scène nationale pour être acclamé par tous. Cependant, à ce moment-là, il était un aîné et il ne lui restait plus que trois ans à vivre. Il a donné de nombreux concerts dans des universités, des salles de concert et des cafés et est apparu sur le Tonight Show avec Johnny Carson. Il a également enregistré trois albums pour Vanguard Records et une grande partie de son répertoire fut également enregistrée pour la Bibliothèque du Congrès. Si l’homme d’Avalon savait à quel point il était important, il ne l’a jamais dit. John Smith Hurt retourna chez lui à Avalon à l’automne 1966 et mourut d’un arrêt cardiaque, le 2 novembre de la même année.

De nombreux guitaristes qui ont atteint l’âge adulte dans les années 1960 et de nombreux autres qui ont suivi ont été touchés par la magie de la musique de John Hurt et par sa personnalité chaleureuse. J’étais l’un d’entre eux, mais le fait d’apprendre le style de Mississippi John m’a également confié beaucoup de valeur de soi, ce qui manquait autrement dans ma vie. Je lui dois tant.

En 2003, la petite-fille de John Hurt, Mary Frances Hurt Wright, n’ayant pas visité le Mississippi depuis un certain temps, a soudainement été prise par le besoin de revoir la maison de son grand-père. Alors qu’elle était là, à contempler les forces qui l’avaient ramenée chez elle, l’homme qui était présentement propriétaire de la terre sur laquelle se trouvait la maison de son grand-père remarqua que « Dieu lui avait dit » que Mary serait là ce jour-là. Il a donné la maison à Mary. Avec 5 000 dollars donnés par un banquier local de Carrollton qui se souvenait que « Daddy John » jouait de la guitare pour sa mère, Mary a fait déménager la maison sur un terrain de deux acres juste en haut de la route, la restaurant comme musée et attrait pour les musiciens et les fans. Beaucoup de ces fans se rendent à Avalon chaque année pour le Mississippi John Hurt Music Festival.

Richard Séguin – voix, guitare acoustique, percussion (pied)

If You Don’t Want Me Baby

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« Blind Willie McTell » de Bob Dylan

Tout au long de sa carrière, Bob Dylan fut un auteur-compositeur très prolifique. L’écriture de chansons se produit souvent à une date beaucoup plus tôt que les enregistrements en studio et les chansons doivent être stockées pour un accès ultérieur. Les paroles ne sont pas un problème – Dylan les écrit habituellement sur une feuille de papier. La musique est tout à fait autre chose et très peu d’artistes ont les connaissances nécessaires pour écrire les partitions pour une chanson. La façon la plus simple est de l’enregistrer, même si ce n’est qu’avec un seul instrument, et tous les arrangements peuvent être créés plus tard pendant l’enregistrement formel.

« Blind Willie McTell » a été enregistré pour la première fois en 1983 dans une version démo élémentaire où Dylan chante et joue du piano, accompagné uniquement de Mark Knopfler à la guitare. C’est une ironie singulière que cette chanson, dont la stature n’a cessé de croître et dont on se souviendra sûrement comme l’une des créations les plus parfaites de Dylan, n’est jamais apparue sur un album studio. La chanson fut retirée de l’album « Infidels » (1983) pour des raisons obscures et la version démo originale a fait surface en 1991 sur le troisième disque de la soi-disant « série bootleg » de Dylan. The Band, associé de longue date de Dylan, a commencé à jouer la chanson lors de leurs concerts live et Dylan en a fait de même. Toutes ces versions live sont jouées à un rythme généralement animé. Mon arrangement est interprété comme un chant funèbre par respect pour « St. James Infirmary, » l’antécédent musical de « Blind Willie McTell. »

Le fait de jouer cette pièce de Dylan me donne aussi l’occasion de jouer de la mandoline blues, qui n’est pas un instrument populaire pour ce genre. James « Yank » Rachell (1903-1997) a créé le vocabulaire de la mandoline blues pendant sa longue association avec Sleepy John Estes (1899-1977). Dans les années 1970 et plus tard, la mandoline de blues a été élevée à une forme d’art par le magnifique travail de Ry Cooder.

William Samuel McTier (1898-1959) a non seulement enregistré sous le nom de Blind Willie McTell, mais aussi sous plusieurs autres noms – à l’époque, les maisons de disques pensaient qu’un artiste connu portant un nom différent faisait de lui un « nouvel » artiste et le public voulait toujours quelque chose de nouveau. L’artiste lui-même, en particulier un artiste noir, n’avait pas son mot à dire dans cette politique. Les artistes noirs étaient considérés et traités comme la « propriété » de la maison de disques. Par conséquent, McTell a également enregistré comme Blind Sammie (pour Columbia Records), Georgia Bill (pour Okeh Records), Hot Shot Willie (pour Victor Records), Blind Willie (pour les étiquettes Vocalion et Bluebird), Barrelhouse Sammie (pour Atlantic Records) et Pig & Whistle Red (pour Regal Records). « Pig & Whistle » fait référence à une chaîne de restaurants barbecue à Atlanta et McTell jouait souvent pour des pourboires dans le stationnement du Pig & Whistle.

Né à Thomson, en Géorgie, McTell était aveugle d’un œil à la naissance et a perdu la vue complètement pendant qu’il était encore enfant. Issu d’une famille de musiciens, il apprit la guitare de sa mère et finit par s’exprimer couramment dans les styles Piedmont et ragtime. Contrairement à ses contemporains, il utilisait exclusivement une guitare à 12 cordes pour se faire entendre à travers les bruits de la ville. On se souvient surtout de lui pour le classique « Statesboro Blues », qui a lancé la carrière de Taj Mahal et du Alman Brothers Band. Sauf pour quelques excursions d’enregistrement dans le nord, McTell a rarement quitté sa Géorgie natale. Dans ses dernières années, McTell fut un prédicateur à Mt. Zion Baptist Church à Atlanta et il est mort en 1959 d’un accident vasculaire cérébral causé par le diabète et l’alcoolisme. Il n’a jamais eu la chance d’être « redécouvert » lors de la renaissance folk et blues des années 1960.

Pour ce qui est des paroles, « Blind Willie McTell » de Dylan est une palette d’images énigmatiques, suggérant le sud profond du XIXe siècle, la guerre civile et les horreurs de la reconstruction d’après-guerre, une politique par laquelle Abraham Lincoln a tenté de ramener les États du Sud dans l’Union. Après l’assassinat de Lincoln, Andrew Johnson devint président et lui et les démocrates du Sud s’opposèrent catégoriquement à toute tentative de droits civils pour les esclaves libérés, annulant ainsi une grande partie de ce que Lincoln avait essayé de réaliser.

Les paroles de « Blind Willie McTell » implantent la Nouvelle-Orléans comme les serre-livres de la chanson. La ville est mentionnée dans le premier verset et le dernier verset fait référence à l’hôtel St. James, un point de repère bien connu de la Nouvelle-Orléans. C’est aussi un lien avec la pièce « St. James Infirmary, » une chanson folk américaine d’origine anonyme sur laquelle la chanson de Dylan est basée. La chanson « St. James Infirmary » est aussi fréquemment associée à Louis Armstrong, le fils le plus célèbre de la Nouvelle-Orléans.

Dylan a commencé à chanter cette chanson avec une référence à Jérusalem. Au fil des années, cela a changé pour « New Jerusalem », une référence biblique à la compréhension mystique juive du paradis. Les paroles de « Blind Willie McTell » offrent de nombreuses images saisissantes, comme celles qui font référence à la guerre des Indiens (Premières nations) d’Amérique et au commerce des esclaves. La référence à « taking down the tents » évoque les spectacles itinérants de médecine dans lesquels Blind Willie McTell a joué dans sa jeunesse. Ces spectacles allaient de ville en ville, offrant des divertissements gratuits tout en vendant de faux remèdes brevetés, souvent nuisibles. La référence aux plantations incendiées évoque la victoire écrasante du général William Sherman en Géorgie et dans les Carolines durant la guerre civile. « Sherman’s March », comme on l’appelait, a été la première expérience de guerre totale au monde. Son but était de briser le moral des citoyens et leur volonté de résister en détruisant les routes, les chemins de fer, les usines, les moulins, les granges et des milliers d’acres de coton et d’autres récoltes.

Dans mon arrangement de la chanson de Dylan, je joue une guitare à 12 cordes pour honorer Blind Willie McTell et son instrument de choix. Le solo de contrebasse éloquent joué par Alrick vers la fin de la chanson est une interprétation en deux couplets de la mélodie de « St. James Infirmary ».

Richard Séguin – voix, guitare acoustique 12 cordes, mandoline
Alrick Huebener – contrebasse

Blind Willie McTell

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« The Times They Are A-Changin’ » de Bob Dylan

J’ai eu la chance de naître dans ma famille, à cette époque et dans cette partie du monde. Une chance incroyable. Mon frère Robert et un grand nombre de nos amis sont exactement du même avis. Nous avons tous eu une enfance parfaite. S’il y avait un inconvénient pour moi, c’est que j’étais protégé et complètement mal équipé émotionnellement pour les réalités brutales du monde en dehors de mon paradis de Prescott et Russell.

Ces réalités brutales ont commencé à s’accumuler avec la mort de mon frère Gabriel, favori de tous, en 1959. Puis j’ai entendu parler de la guerre froide, du mur de Berlin en 1961 et de la crise des missiles cubains en 1962. Le monde était en état d’alerte – même mon petit village endormi de Rockland a commencé à mettre à l’essai la grande alarme qui retentissait au-dessus du bureau de poste à cette époque. J’avais à peine commencé mon secondaire quand Kennedy a été assassiné. Et puis, nos voisins du sud sont devenus complètement fous. La classe dominante blanche a déclaré la guerre totale à la population noire.

En fait, cette guerre dure depuis des siècles, mais c’est l’augmentation de la couverture médiatique, surtout la télévision, qui a amené les horreurs des attentats à la bombe contre les églises et le lynchage d’hommes et de femmes noirs dans nos salons du Nord. Je ne comprenais rien parce que je n’ai pas grandi avec les préjugés et le racisme. Ma mère et mon père étaient beaucoup trop occupés à garder une maison de neuf personnes à flot pour même penser à de telles sottises. Quand j’avais cinq ans, mon frère Gabriel m’a présenté son monde de musique, peuplé d’artistes noirs et blancs. Mon frère s’en fichait – il les aimait tous. Il était aussi fou de Chuck Berry que de Jerry Lee Lewis. Pour chaque disque d’Elvis Presley qu’il avait, il y avait un disque de Ivory Joe Hunter dans sa collection. Pour chaque disque des Everly Brothers ou de Buddy Holly, il y avait des disques de Little Richard, The Coasters ou Fats Domino. J’aimais mon frère et j’ai grandi en aimant tout ce qu’il aimait. Par conséquent, mes héros ont toujours été noirs et blancs. Ils le sont encore.

En 1964, tout le débat portait sur le projet Freedom Summer, une campagne d’inscription visant à augmenter le nombre d’électeurs noirs inscrits au Mississippi. Le Mississippi a été choisi comme site du projet en raison de ses niveaux historiquement bas d’inscription des électeurs afro-américains ; en 1962, moins de 7 % des électeurs noirs éligibles de l’État étaient inscrits pour voter. Plus de 700 volontaires majoritairement blancs se sont joints aux Afro-Américains pour lutter contre l’intimidation et la discrimination des électeurs aux urnes. Le mouvement a été organisé par des coalitions de droits civiques comme le Congrès sur l’égalité raciale (CORE). Les volontaires de Freedom Summer ont rencontré une violente résistance du Ku Klux Klan et des membres des forces de l’ordre locales et d’État. La couverture médiatique des raclées, des fausses arrestations et même des meurtres a attiré l’attention internationale sur le mouvement des droits civiques. Le Sud est resté isolé, surtout en ce qui concerne les bureaux de vote, où les Afro-Américains ont été victimes de violence et d’intimidation lorsqu’ils ont tenté d’exercer leur droit constitutionnel de vote. Les taxes de vote et les tests d’alphabétisation conçus pour réduire au silence les électeurs noirs étaient courants. Sans accès aux urnes, le changement politique en faveur des droits civiques a été lent à inexistant.

Parmi la première vague de volontaires arrivés en juin 1964 se trouvaient deux étudiants blancs de New York, Michael Schwerner et Andrew Goodman, et James Chaney, un homme noir local. Les trois ont disparu après avoir visité Philadelphia, Mississippi, où ils enquêtaient sur l’incendie d’une église. On a appris plus tard qu’ils avaient été arrêtés par le shérif adjoint Cecil Price, un membre du Klan, apparemment pour excès de vitesse. Ils ont été détenus en prison jusqu’à la tombée de la nuit, tandis que Price organisait un lynchage avec ses compagnons Klansmen. Quand les trois ont été relâchés, ils ont foncé dans une embuscade où Goodman et Schwerner ont été abattus à bout portant. Chaney a été poursuivi, battu impitoyablement et fusillé trois fois. Six semaines plus tard, les corps des volontaires disparus ont été retrouvés, enterrés dans un barrage de terre. Le 4 décembre, le FBI a arrêté 19 suspects, tous libérés sur un point de procédure. Une bataille de trois ans a commencé pour les traduire en justice. En octobre 1967, les hommes, y compris le « magicien impérial » du Klan Samuel Bowers, qui aurait ordonné les meurtres, ont été jugés et sept ont finalement été reconnus coupables de crimes fédéraux liés aux meurtres. Tous ont été condamnés de 3 à 10 ans, mais aucun n’a purgé plus de six ans. C’était la première fois depuis l’abolition de l’esclavage après la guerre civile, près de 100 ans, que des hommes blancs étaient reconnus coupables de violations des droits civiques contre des Noirs au Mississippi.

De nombreux résidents blancs du Mississippi en voulaient profondément aux militants de Freedom Summer et à toute tentative de changer le statu quo de la ségrégation. Les locaux harcelaient régulièrement les bénévoles. Leur présence dans les communautés noires locales a mené à des fusillades en voiture et à des attentats à la bombe contre les maisons qui ont accueilli les activistes. 37 églises ont été incendiées ou visées par des bombes. Les gouvernements d’État et locaux ont utilisé des arrestations, des incendies criminels, des raclées, des expulsions, des licenciements, des meurtres, de l’espionnage et d’autres formes d’intimidation et de harcèlement pour s’opposer au projet et empêcher les Noirs de s’inscrire pour voter ou atteindre l’égalité sociale.

Témoin de tout cela de loin, je suis devenu un enfant de 14 ans très malheureux. Les gens de ma ville se sont tenus à eux-mêmes et il n’y avait personne à qui parler. Comme beaucoup de jeunes démoralisés de cette époque, je me suis tourné pour l’inspiration et l’espoir vers le brillant auteur-compositeur qui avait récemment pris d’assaut l’Amérique du Nord, Bob Dylan. Dylan était assez intelligent pour savoir que les barrières construites par la haine et le sectarisme dureraient toute notre vie et au-delà. Il a chanté que la réponse soufflait dans le vent. Il a vu que le mouvement des droits civiques et la renaissance de la musique folk étaient étroitement liés et il a écrit une chanson qu’il croyait être un hymne pour le changement, intitulée « The Times They Are A-Changin. » Les paroles de la chanson contenaient des références bibliques et étaient structurées comme des ballades anglaises, irlandaises et écossaises des XVIIIe et XIXe siècles comme « A-Hunting We Will Go » ou « Come All Ye Tender Hearted Maidens. » Moins d’un mois après que Dylan ait enregistré la chanson, le président Kennedy a été assassiné à Dallas, au Texas. La chanson a donné son titre à l’album suivant de Dylan, sorti en 1964 au milieu de la fureur des changements qu’il prédisait. Dylan chante la pièce s’accompagnant à la guitare acoustique. Mon arrangement de « The Times They Are A-Changin » est beaucoup plus impliqué et dépend énormément des talents de mes amis Alrick Huebener à la contrebasse et Roch Tassé à la batterie.

Alrick Huebener

Alrick Huebener

Si l’on remonte à 1964, il est très intéressant de noter que les États méridionaux de la Caroline du Sud, de la Géorgie, de l’Alabama, du Mississippi et de la Louisiane, les points chauds de la ségrégation et de la prévention du logement, de l’éducation et d’autres services pour les personnes de couleur, étaient tous sous le contrôle des démocrates, les chéris d’aujourd’hui. Cette année-là, au Sénat, les démocrates ont fait l’obstruction la plus longue de l’histoire des États-Unis, pendant 75 jours, en essayant tous d’empêcher l’adoption de la Loi sur les droits civils. Les gouverneurs démocrates et les fonctionnaires des gouvernements d’État et locaux étaient parmi les hommes les plus malveillants du 20e siècle.
Roch Tassé

Roch Tassé

Et pourtant, Abraham Lincoln, le Grand Émancipateur, l’homme qui a combattu pour mettre fin à l’esclavage au prix de sa propre vie, était un républicain, les monstres d’aujourd’hui. Le vérité est que les hommes maléfiques ne se soucient pas des affiliations politiques. Démocrate, républicain, conservateur ou libéral sont des étiquettes vides de sens pour eux. Les hommes maléfiques dépendent de manteaux qui nous cachent leur nature. Des hommes maléfiques déposeront des couronnes sur les charniers d’enfants autochtones ou sur un monument commémoratif pour les victimes de l’holocauste. Ils liront des déclarations préparées et répéteront que leurs pensées et leurs prières sont avec les familles des victimes, en utilisant toujours ces mots exacts, même si leurs pensées sont très certainement ailleurs et, bien sûr, ils ne prient jamais.

Nous devons tous nous rappeler les paroles d’Edmund Burke (1729-1797), un politicien irlandais qui a dit : « Ceux qui ne connaissent pas l’histoire sont destinés à la répéter. »

Richard Séguin – voix, guitare acoustique, guitare électrique 12-cordes, guitare MIDI (piano, orgue)
Alrick Huebener – contrebasse
Roch Tassé – batterie

The Times They Are A-Changin’

Photo d »Alrick par Kate Morgan

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« I’m Ready » de Muddy Waters

Lorsque Muddy Waters est arrivé à Chicago en 1943, tous les musiciens qui cherchaient un peu d’argent se rassemblaient au marché de la rue Maxwell. Le marché offrait toutes sortes de magasins : des épiceries, des boutiques de produits agricoles, de viande et de poisson, des textiles et des vêtements, des bijoutiers, des barbiers, des pharmacies, des prêteurs sur gages, les arrière-salles dévouées aux jeux de cartes et aux dés. C’est là que Muddy a rencontré le guitariste Jimmy Rogers et les deux hommes se sont liés d’amitié, les deux venant du Delta, les deux élevés par leurs grand-mères. Rogers a présenté Muddy à Little Walter, un jeune bolide fou qui portait déjà les cicatrices de plusieurs altercations à couteaux tirés sur sa figure. Muddy disait que Little Walter « pouvait penser deux fois pour ta une » et il a poussé l’harmonica vers des terrains inconnus. Ils ont formé un orchestre avec Baby Face Leroy à la batterie et ils ont commencé à jouer dans des clubs comme le Zanzibar, le Chicken Shack, le Purple Cat, Silvio’s et le Du Drop Inn. Rogers se souvient que les clubs étaient violents. « Un type devenait affolé et commençait une bagarre avec sa blonde. Quelqu’un était coupé, quelqu’un tiré. »

Quand le batteur « Elgin » Edmonds et le pianiste Otis Spann se sont joints au groupe, Muddy avait finalement assemblé un vrai orchestre de blues. La photo à droite nous montre Muddy, Henry Armstrong, un peintre d’enseignes qui produisait des affiches pour l’orchestre, Otis Spann au piano, Henry « Pot » Strong à l’harmonica, le batteur Elgin Edmonds en arrière-plan et Jimmy Rogers à la guitare. Tout le monde connaissait Henry Strong comme « Pot » à cause de son penchant pour un joint. Peu après que cette photo fut prise, Jimmy Rogers a conduit Pot chez lui. Muddy était parti plus tôt et y était déjà. Une querelle entre Pot, un coureur de jupons, et son épouse jalouse Juanita a fini brusquement quand elle l’a poignardé, perçant son poumon. Muddy a trouvé Pot tout ensanglanté sur le plancher de marbre du lobby, l’a enroulé dans une courtepointe et l’a conduit à l’hôpital mais Pot est décédé en chemin. Il avait 25 ans.

C’est à cette époque que le blues, auparavant une musique rurale, est devenu une musique urbaine. Les instruments électriques, et surtout la batterie, ont subjugué les foules sauvages et le rythme solide a expédié tout le monde sur le plancher de danse. Le blues était maintenant une musique de danse et sa popularité est montée en flèche.

Le joueur d’harmonica Willie Foster se souvient d’une visite à l’appartement de Muddy où Willie Dixon a répondu à la porte. Muddy se rasait dans la salle de bain et s’est sortit la tête pour demamder à Foster s’il était prêt. « Ready as anybody can be, » a-t-il répondu. Muddy et Willie Dixon se sont regardés et la pièce « I’m Ready » s’est écrite d’elle-même dans quelques jours. Un peu plus tard, le pianiste Sunnyland Slim a présenté Muddy aux frères Chess. Le premier septembre 1954, ils ont enregistré leur première session au nouveau studio Chess, ce qui nous a donné « I’m Ready. » L’enregistrement s’est fait avec Little Walter à l’harmonica chromatique, Otis Spann au piano, Willie Dixon à la contrebasse, Fred Below à la batterie, Jimmy Rogers à la guitare, et Muddy qui chante la pièce. La chanson a gagné la position 4 sur le hit parade Billboard.

Dans un article intitulé « Pop Music Rides Tidal Wave, » la revue Billboard a déclaré que le rhythm and blues n’était plus limité au public noir. Les jeunes blancs du quartier achetaient maintenant les disques usagés des juke-box, tout particulièrement les disques de Muddy Waters, Ruth Brown et Willie Mabon. La popularité du blues voyageait vers un public blanc. À Memphis, le producteur de disques Sam Philips a débuté Sun Studios et le talent qu’il enregistrait était superbe : Johnny Cash, Jerry Lee Lewis, Carl Perkins, Howlin’ Wolf et, bien sûr, Elvis Presley. Un disc jockey nommé Alan Freed (1921-1965) a fait sensation avec la musique qu’il jouait à la radio, la nommant « rock and roll, » une expression utilisée premièrement dans la revue Billboard en 1946. Par le temps que j’ai eu mes cinq ans, mon frère Gabriel, si talentueux et si généreux, m’avait introduit patiemment à la musique de son temps. En écoutant cette musique, mon monde obscur s’est consolidé et est devenu réel.

Richard Séguin – voix, guitares électriques
Alrick Huebener – contrebasse électrique
Roch Tassé – batterie

I’m Ready

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« Rollin’ Stone » de Muddy Waters

En février de 1950, un mois après ma naissance, Muddy Waters (McKinley Morganfield, 1913-1983) est entré en studio pour enregistrer sa composition « Rollin’ Stone. » L’enregistrement était particulier : Muddy chante et s’accompagne avec une seule guitare électrique, rien d’autre. C’était le début de la transition du blues rural acoustique au blues urbain électrique, maintenant universellement connu comme le « Chicago Blues. » La chanson est l’essence même du déracinement, de l’indépendance et de l’angoisse d’après-guerre. Comme des penseurs existentialistes, les bluesmen du vingtième siècle examinaient les questions du sens, des objectifs et de la valeur de l’existence humaine.

Muddy est né à Rolling Fork au Mississippi et ses parents ne se sont jamais mariés, non plus qu’ils sont demeurés ensemble, comme c’était souvent le cas dans le Sud à cette époque. Élevé par sa grand-mère, elle l’a surnommé Muddy quand le garçon traînait fréquemment la boue de la rivière Mississippi dans la maison. Le « Waters » a été ajouté par après par des amis. Sa grand-mère s’est assurée qu’il soit élevé dans la tradition baptiste et les chants spirituels ont représentés une partie importante de la formation de Muddy comme chanteur. Gros pour son âge, il a commencé à travailler sur une plantation à l’âge de huit ans. Il récoltait le coton, les haricots, le maïs, labourait derrière une mule et, les bons jours, conduisait un camion. Comme résultat, Muddy fut analphabète toute sa vie, le genre d’analphabétisme forcé qui était le destin de la plupart des hommes et femmes afro-américains du Sud au début du 20e siècle.

Muddy travaillait sur la plantation Stovall, qui était, selon la plupart, une des meilleures places à travailler au Mississippi, bien qu’encerclée par une région qui connaissait les lynchages. Stovall s’étendait sur 4 000 acres, pas d’eau courante, pas d’électricité, et les travailleurs étaient payés en certificats ou en jetons rachetables en marchandise uniquement au magasin de l’entreprise. La même pratique dénigrante fut adoptée par la scierie Edwards durant les premiers jours de Rockland, mon village natal.

Plusieurs musiciens passaient par Stovall et Muddy se souvient d’avoir appris à jouer de la guitare en regardant Son House, Charley Patton et les Mississippi Sheiks, un orchestre du coin. À dix-sept ans, Muddy était bien connu chez Stovall, non seulement comme bootlegger, mais aussi comme son musicien le plus populaire.

En août de 1941, Muddy a appris qu’un blanc cherchait à le rencontrer. Jamais de bonnes nouvelles, il a tout de suite pensé qu’on voulait l’arrêter pour ses ventes de whisky. Quand il a rencontré cet homme blanc, Muddy, comme tout autre Noir du Sud qui connaissait sa place, lui a demandé « Yassuh? » mais l’homme lui a dit de laisser faire le « Yassuh, » il voulait l’entendre jouer de la guitare. Cet homme blanc était Alan Lomax (1915-2002) qui sillonnait le Sud pour enregistrer des entrevues et des chansons pour la Archive of American Folk Song, dont il était le directeur, au Library of Congress à Washington. Mais Alan Lomax n’était pas un raciste blanc « ordinaire. » À un moment donné, Lomax a demandé un peu d’eau et a bu de la même tasse que Muddy utilisait. Du jamais vu, dans le Sud séparé.

Lomax a branché son équipement d’enregistrement mobile, relié un micro dans la maison et a enregistré Muddy, accompagné parfois par d’autres musiciens de la plantation tel Son Sims, un violoneux qui avait joué avec plusieurs bluesmen, dont le grand Charley Patton. Lomax est revenu en 1942 pour complété d’autres enregistrements et les deux sessions furent publiées en 1966 sur un disque intitulé « Down On Stovall’s Plantation. »

Ce disque était le bijou de ma collection comme jeune homme. Le son de Muddy sur ces enregistrements nous démontre un guitariste habile et certainement un chanteur des plus puissants et émouvants que j’ai jamais entendu. Considérez aussi les paroles de sa composition « Country Blues No 1, » qui décrivent l’inévitabilité du destin par « Brooks run into the ocean/ and the ocean runs into the sea, » et le travail fastidieux de la plantation comme « Minutes seem like hours/ and the hours seem like days. » De la poésie naturelle et simple, tout droit de la campagne.

Muddy pensait que ses enregistrements étaient un miracle de l’ère moderne et il voulait enregistrer d’autres chansons mais il savait qu’il aurait à gagner le Nord pour ce faire et que pour cela, l’argent était nécessaire. Il a commencé à ajouter des petits boulots, jouant du blues toute la nuit pour 50 cents et un sandwich, même piégeant des fourrures, comme mon père le faisait quand notre famille débutait. Lorsque le coton était hors saison, Muddy allait aux autres récoltes, toujours le vagabondage. C’était une affaire dangereuse. À l’époque, les policiers arrêtaient tous les Noirs qui voyageaient seuls et les accusaient de vagabondage. Ces hommes fournissait un travail gratuit aux fermes pénitentiaires – les chemins du Sud se sont construits de cette façon. Ce fut dans ce stage d’agitation et de mouvement constant que Muddy a composé « Rollin’ Stone » et, comme dit le proverbe, il ne ramassait pas de mousse.

Après un court et infructueux séjour à St. Louis, Muddy a finalement déménagé à Chicago en 1943. New York et Los Angeles étaient aussi les destinations populaires pour les Noirs du Sud qui cherchaient leur place dans un monde où ils étaient auparavant des esclaves. À la fin des années 1940, le salaire annuel moyen à Chicago était 1 919 $. Au Mississippi, c’était 439 $. Muddy a travaillé dans des usines de verre et de papier et conduisait des camions de livraison. La nuit, il jouait dans les clubs du South Side mais l’ère du jazz durait toujours et personne ne voulait entendre un chanteur de blues. En effet, personne ne pouvait entendre Muddy et sa guitare acoustique dans une salle pleine de danse, d’alcool, de disputes et de bagarres. Les musiciens jouaient souvent derrière un rideau de grillage de poulet pour se protéger des bouteilles de bière volantes. La solution est venu avec la technologie et la toute nouvelle guitare électrique. Muddy a vite ajouté de la contrebasse, de la batterie, du piano et de l’harmonica à son orchestre, un des meilleurs jamais assemblé, pouvait maintenant percer les cris, le hurlement et le tumulte de n’importe quelle foule.

La grève syndicale de 1942-1944 entre les musiciens et les compagnies de disques, impliquant le paiement de royautés, a eu trois conséquences majeures : le succès des petites compagnies de disques, le déclin des Big Bands et la hausse en popularité des chanteurs. C’était maintenant possible pour plusieurs artistes novateurs de créer les nouveaux sons passionnants du rhythm & blues (R&B). Également, la porte était maintenant ouverte pour des chanteurs comme Muddy Waters.

Les frères Chess, Leonard (1917-1969) et Phil (1921-2016), qui allaient jouer un rôle déterminant dans l’enregistrement et la diffusion du blues d’après-guerre, étaient des immigrants juifs de la Pologne qui se sont installés à Chicago. Les frères ont inauguré le Macomba Club et ont aussi acheté une part dans Aristocrat Records, une entreprise en difficulté. En 1950, Aristocrat est devenu Chess Records et Chess a enregistré le nouveau blues électrique si populaire dans les boîtes du South Side. Personne connaissait la guitare électrique et comment l’enregistrer mais c’était une époque d’expérimentation magnifique et de popularité croissante. Chaque portier, chaque conducteur Pullman, chaque salon de coiffure et chaque barbier vendait des disques. Simultanément et silencieusement, des événements se convoquaient comme des nuages à l’horizon et l’orage parfait qui serait le Rock ‘n Roll se dessinait inévitablement.

Muddy a basé son enregistrement de « Rollin’ Stone » pour Chess en 1950 sur « Catfish Blues, » un vieux blues chanté pendant des années à travers le Delta, mais jamais comme ça. Si j’avais à choisir une seule chanson qui personnifie le blues d’après-guerre, je choisirais « Rollin’ Stone. » La chanson a donné son titre à l’influente revue sociopolitique « Rolling Stone » et, bien sûr, le nom du groupe rock The Rolling Stones. La chanson était aussi un puits de tonalités dissonantes que Jimi Hendrix a visité à maintes reprises durant sa carrière. L’année suivante, Muddy a enregistré la chanson à nouveau, avec une instrumentation plus complète, et publiée comme « Still a Fool. » Mon arrangement de « Rollin’ Stone » emprunte des deux enregistrements.

Richard Séguin – voix et guitare électrique

Rollin’ Stone

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« Swimming Song » de Kate et Anna McGarrigle

Les soeurs McGarrigle, Kate (1946-2919) et Anna (n. 1944), sont des auteurs-compositeurs et multi-instrumentalistes de Montréal, Québec. Bien qu’associées avec la communauté anglophone de Montréal, elles ont grandi dans le village de Saint-Sauveur-des-Monts dans les montagnes Laurentiennes et sont parfaitement bilingues. Issues de parents canadien-français et irlandais, les sœurs ont étudié le piano au couvent régional. Une sœur aînée, Jane, complétait le choeur familial autour du piano au salon, un évènement régulier.

Kate a étudié l’ingénierie à l’université McGill et Anna la peinture à l’École des Beaux-Arts de Montréal. Kate a appris le banjo en regardant Pete Seeger et, en 1962, elle s’est joint à Anna et deux amis pour former le groupe Mountain City Four, qui spécialisait en musique « roots » et tout particulièrement les chansons de la famille Carter. Kate est partie pour New York afin de poursuivre sa carrière en musique tandis qu’Anna est demeurée à Montréal. Kate a joué dans les clubs de Greenwich Village et, en 1971, a épousé le chanteur Loudon Wainwright III, l’auteur de « Swimming Song. » Ils ont deux enfants, Martha et Rufus Wainwright, tous deux des musiciens bien établis.

Au cours des années, les chansons des McGarrigle ont aussi été enregistrées par Judy Collins, Marianne Faithful, Emmylou Harris et Nana Mouskouri, entre autres. Les sœurs ont aussi joué et chanté avec le célèbre groupe irlandais The Chieftains, l’icône du folk Joan Baez et le légendaire chansonnier du Québec, Gilles Vigneault.

En 1975, les soeurs ont publié leur premier disque, simplement intitulé « Kate and Anna McGarrigle. » Grâce à leurs talents comme compositeurs, les liens proches qu’elles avaient cultivé à travers l’industrie de la musique en Amérique du Nord furent récompensés avec la participation sur ce disque de certains des meilleurs musiciens au monde, y compris le contrebassiste Tony Levin (King Crimson, Peter Gabriel), le guitariste Lowell George (Little Feat) et des professionnels du studio tel les batteurs Steve Gadd et Russ Kunkel, le saxophoniste Bobby Knight, les guitaristes David Spinozza, Hugh McCraken, Tony Rice, Amos Garrett et Andrew Gold, ainsi que la mandoline extraordinaire de David Grisman. Le disque a gagné le prix du meilleur disque de l’année selon la revue Melody Maker.

Les soeurs McGarrigle ont enregistré treize disques au cours de leur carrière. En 1980, elles sont devenues les chéries permanentes du tout Québec en publiant leur disque « Entre la jeunesse et la sagesse », chanté entièrement en français. Un deuxième disque français a suivi en 2003, intitulé « La vache qui pleure. » Elles se sont présentées en concert et à plusieurs des festivals du Canada et des États-Unis, de l’Angleterre, de l’Irlande, de l’Écosse, du Danemark, de la Norvège, de l’Allemagne, des Pays-Bas, de la Belgique, de la Suisse, de l’Australie, de la Nouvelle-Zélande, et de l’Hong Kong. Elles furent nommées membres le l’Ordre du Canada en 1993 et ont reçu le Prix du Gouverneur général pour les arts de la scène en 2004.

En 2006, la santé de Kate s’est progressivement détériorée avec le sarcome à cellules claires, une forme rare du cancer. Elle est décédée en 2010 et, en remerciement pour les soins qu’elle avait reçus, elle a doté un fonds à l’université McGill pour venir en aide à la recherche et aux soins du cancer à Montréal. Emmylou Harris, une amie très proche, a composé et enregistré la ballade « Darlin’ Kate » à sa mémoire.

La pierre tombale de Kate est, sans surprise, un œuvre d’art. Le devant est embelli d’un des plus célèbres dessins de Kate, jamais intitulé mais connu affectueusement comme « la fille en skis. » L’arrière est gravé d’un banjo et les paroles d’une des plus émouvantes pièces des soeurs, « Talk To Me Of Mendocino. »

Let the sun set on the ocean                                                                                         (Que le soleil se couche sur l’océan)
I will watch it from the shore                                                                                       (Je vais le regarder de la rive)
Let the sun rise over the redwoods                                                                             (Que le soleil se lève sur les séquoias)
I’ll rise with it till I rise no more                                                                                   (Je me lèverai avec lui jusqu’à ce que je ne me
lève plus)

Située sur les bords de l’océan Pacifique en Californie, la communauté de Mendocino est reconnue pour sa beauté naturelle et sa colonie d’artistes.

Anna McGarrigle est mariée au journaliste et auteur canadien Dane Lanken. Le couple a deux enfants, Lily et Sylvan, et demeure à North Glengarry, en Ontario, juste à l’ouest de la frontière du Québec.

 

Richard Séguin – voix, guitare acoustique, banjo, mandoline, contrebasse électrique

Swimming Song

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